Assemblée – Géros parle idéologie, Brotherson garde le cap, sans annonce budgétaire

(Photo : SB/LDT)
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Ce jeudi 21 septembre a marqué l’ouverture de la session budgétaire à l’assemblée de la Polynésie française (APF). Cette première séance est marquée par les discours d’usage du président de l’institution et du président du Pays. Des discours qui n’ont pas manqué de marquer des dissensions, ou peut-être juste des problèmes de communication, entre le chef de l’exécutif et celui du pouvoir législatif.

Pour sa première allocution dans cet exercice budgétaire, depuis la prise de pouvoir du Tavini en mai dernier, Antony Géros s’est présenté comme le garant de l’idéologie du parti bleu ciel, en rappelant l’essence même du combat du parti (décolonisation, ONU, indépendance).

Moetai Brotherson, plus modéré, mais qui a tenu à lever les doutes sur l’indépendantiste qu’il est, sans faire de grandes annonces au pupitre, a rappelé l’importance d’un partenariat avec l’État “dans le destin que le Pays choisira un jour” et a tenu à remercier Paris pour les relations entretenues.

Pour Antony Géros, président de l’assemblée de “Maohi Nui“, selon ses propres termes, a précisé que les élus de Tarahoi étaient “fin prêts à délibérer et à légiférer”. L’institution, pour être un “outil législatif adéquat afin d’appuyer l’action gouvernementale“, doit passer par la refonte de son règlement intérieur.

Réforme qui se traduira, notamment, par la création d’une nouvelle commission dédiée à la décolonisation ou par l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement des missions d’information et des commissions d’enquêtes.

Le 29 juin cède sa place au 1er septembre, jour de l’indépendance de l’Eglise protestante maohi

Autre ambition pour le patron de Tarahoi, renforcer le positionnement de l’assemblée dans le Pacifique et continuer le travail d’ouverture à l’international, notamment via le groupe parlementaire des îles du Pacifique (GPIP). Le travail avec les voisins du Pacifique doit continuer et s’intensifier, pour Antony Géros, afin de résoudre les problématiques communes.

Le président de l’assemblée, en plus d’annoncer la célébration de la journée de l’ONU et la levée des couleurs le 24 octobre, a aussi émis le souhait de voir le jour férié du 29 juin, fête de l’autonomie si discutée puisque jour de deuil par ailleurs pour la famille indépendantiste, être supprimé. Suppression
qui passerait par la création d’un nouveau jour férié : le 1er septembre, jour anniversaire de l’indépendance de l’Église protestante maohi (EPM).

On garde le cap mais pas d’annonce avant le débat d’orientation budgétaire

Lors de cette ouverture solennelle de la session budgétaire, le président Brotherson a souhaité rappeler le cap de son “jeune” gouvernement. Cap qui passe par un “fléchage” vers les emplois dans le secteur primaire, le tourisme, le numérique et la transition énergétique.

Le chef de l’exécutif, qui a annoncé pour 2024 l’ouverture d’une école de codage, a insisté sur sa volonté d’aider au développement des entreprises, de soutenir les populations fragiles, de faire voter des réformes fiscales, sociales et administratives. Cependant, il a aussi indiqué que les grandes mesures ne seraient annoncées que lors du débat d’orientation budgétaire (DOB), en octobre prochain.

Le Village tahitien et les Jeux du Pacifique remis en question

Le président du Pays, qui se rendra cette semaine à Washington, a aussi soulevé des doutes sur deux projets lancés par ses prédécesseurs : le Village tahitien et les Jeux du Pacifique de 2027 à Tahiti. Concernant le premier, pour le président, l’engagement de 42 milliards de francs de deniers publics, pour ce seul projet interroge, alors que les autres archipels sont en demande de projets touristiques.

Concernant le second projet, informe le président, une dépense de 36 milliards de francs de deniers publics est à prévoir. Là encore, Moetai Brotherson s’interroge sur la nécessité de telles dépenses. Le projet, selon lui, doit encore une fois être revu et discuté afin d’allier les intérêts de la population et le bon déroulement de l’évènement sportif.

Un nouveau jour férié qui divise

En fin de discours, Moetai Brotherson a tenu à revenir sur le discours de son collègue Tavini de Tarahoi. Alors qu’il n’a émis aucune objection à la célébration de la journée de l’ONU ( il a souligné que la France en est un membre fondateur), ou encore sur la création de la commission sur la décolonisation, il a tenu cependant à revenir sur le choix, présenté par Antony Géros, du 1er septembre comme nouveau férié en remplacement du 29 juin.

Le président du Pays, durant sa prise de parole, a tenu à souligner qu’il était “républicain et démocrate”, ainsi que “non catholique ou protestant”. Puis il a indiqué qu’il ne souhaitait pas que cette date du 1er septembre soit source de “débats sans fin entre les différentes confessions religieuses”. Selon lui, le choix de la date devrait être soumis à la société civile.

Gaston Tong Sang : “Le discours de Moetai Brotherson aurait eu sa place au moment de l’investiture mais pas aujourd’hui”

Gaston Tong Sang (Photo : SB/LDT)

“Le discours d’Antony Géros était plus étoffé que celui de Brotherson. Dans le discours du président de l’assemblée, l’accent est mis sur le combat politique du Tavini. Je trouve qu’il nous a un peu oublié dans son discours. Plus de la moitié des électeurs ont voté pour l’autonomie. Annoncer la suppression du 29 juin, c’est fort de café. Ils sont toujours dans le combat politique, ils ne sont pas dans le cadre institutionnel. J’ai tout de même apprécié les mots sur l’ouverture sur le monde, à l’international notamment avec le groupement parlementaire des îles du Pacifique, que le Tapura a initié. Sur sa volonté de mettre en place des commissions d’enquêtes, je considère que la chambre territoriale des comptes contrôle déjà régulièrement les politiques publiques. C’est une façon, je trouve, de défier le gouvernement. A moins qu’il y ait des éléments de dissensions.

Sur le discours de Moetai Brotherson, il aurait eu sa place au moment de l’investiture mais pas aujourd’hui. Viennent de passer 100 jours et aucune annonce sur le remplacement de la taxe CPS, rien sur l’emploi, sur la relance économique. Le monde économique attend des réponses. A un moment donné, il faudra donner des vrais projets dans le document budgétaire que nous attendons avec impatience. Le 15 novembre au plus tard, on devra connaître le projet budget 2024 du Pays. On reste sur notre faim.”

Pascale Haiti : “Donner l’importance sur un changement de jour férié,
ce n’est vraiment pas une priorité.”

Pascale Haiti (Photo : SB/LDT)

“Le discours d’Antony Géros est un discours vraiment indépendantiste. Nous sommes en session budgétaire, il aurait du parler des ambitions pour l’institution elle-même et présenter comment il allait travailler avec le gouvernement. Nous sommes déçus, aucune perspective.

Concernant le discours du président du Pays, on s’attendait à une ligne politique annonçant des mesures sur l’emploi, sur le baisse du coût de la vie, sur le développement économique. On a eu l’impression d’un règlement de comptes entre les deux. On sent que ça chauffe. Donner l’importance sur un changement de jour férié, ce n’est vraiment pas une priorité.”

Tepuaraurii Teriitahi : “On voit qu’il n’y a pas eu de concertation entre
les deux discours, pas d’harmonisation

Tepuaraurii Teriitahi (Photo : SB/LDT)

“Quand j’ai entendu le président de l’assemblée, j’ai eu l’impression d’entendre le discours du président du Pays. Je me suis demandé si le président avait changé. On voit, dans la posture et ce discours, le fond. Il a mis en avant des compétences qui ne sont pas de la compétence de l’assemblée. On a bien vu un rappel à l’ordre, c’est l’assemblée qui dirige… Sur le fond, sur la commission de décolonisation, on avait déjà évoqué et travaillé là dessus. Cette annonce n’est donc pas une surprise. Le président associe la minorité. On n’a pas encore donné une réponse de savoir si on y participerait ou pas (…) Il poursuit l’idéologie Tavini.

Sur le changement de jour férié, on a vu la dissonance entre les deux présidents, qui ne se sont pas accordés au préalable apparemment (…) Sur le choix de la date du 1er septembre, est-ce un remerciement pour l’église protestante maohi pour son soutien durant les élections jusqu’à aujourd’hui ? Alors que le président dit qu’il faut trouver une date qui fasse consensus. Il faudrait que, tous ensemble, à travers une consultation citoyenne peut-être, nous trouvions une date qui convienne à tout le monde.

On peut avoir un goût d’amertume et de déception par rapport à ce qu’on a entendu là. On entend des généralités, mais on ne sait pas concrètement comment ça se décline. Les trois quarts du discours portent sur l’ONU, la décolonisation, l’indépendance… mais les vrais sujets qu’attend notre population, la cherté de la vie, l’augmentation du pouvoir d’achat, concrètement on n’a rien. On nous demande d’attendre le débat d’orientation budgétaire…ce n’est pas avant le 26 octobre.

J’ai senti deux présidents qui ont fait bonne figure… Mais, entre les lignes, on peut voir un certain nombre de dissonances. On voit qu’il n’y a pas eu de concertation entre les deux discours, pas d’harmonisation et un “petit règlement de comptes” en direct…c’est surprenant. Ca fait partie du débat démocratique mais pour l’image de cohésion, il y a des doutes et des craintes à avoir pour la session budgétaire.”

Nicole Sanquer : “Aujourd’hui, nous sommes très inquiets”

Nicole Sanquer (Photo : SB/LDT)

“Il y a eu deux discours avec deux tonalités différentes. Le premier, d’Antony Géros, était très politique, très axé sur l’ADN du Tavini : la décolonisation, le rayonnement géographique dans le Pacifique. Et une annonce surprise, la suppression du jour férié du 29 juin, avec une proposition d’une nouvelle date, sans concertation. Personnellement, j’ai été un peu choquée de ces annonces. Sur la commission sur la décolonisation, A Here Ia Porinetia ne siègera pas. Pour notre parti, il y a d’autres urgences aujourd’hui.

Malheureusement nous n’avons pas entendu le plan pour aider notre population dans son quotidien, dans ses difficultés. Pour le discours de Moetai Brotherson, on a entendu de grandes généralités déjà prononcées mais pas de feuille de route avec les grandes orientations de la réforme fiscale, de la PSG. Ca reste des annonces. Aujourd’hui nous sommes très inquiets. Le temps d’installation est terminé. On attend de véritables mesures.”