
Après sept renvois, et autant d’occasions de se présenter en martyr lors d’un procès qui était, selon lui, politique, Jean-Paul Théron a été jugé le 26 septembre 2023 par le tribunal correctionnel de Papeete. Encore interdit d’exercer jusqu’en décembre 2023, il était jugé pour avoir violenté un huissier venu lui remettre une convocation, puis outragé une gendarme deux jours plus tard. Le procureur a requis une peine de six mois de prison avec sursis, l’ensemble des parties civiles réclame près de deux millions de francs de dommages et intérêts. Le délibéré sera rendu le 10 octobre prochain.
Deux mondes et deux visions de l’affaire se sont affrontés aujourd’hui dans la grande salle d’audience du palais de justice de Papeete. D’un côté, l’accusation, le procureur, et les avocats des parties civiles, constituées de l’avocat du clerc d’huissier agressé par le docteur Théron, celui des gendarmes outragés, le représentant du conseil de l’ordre des médecins. Dans ce camp, on a sans cesse rappelé que le tribunal devait juger deux faits, l’un de violence aggravée, l’autre d’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique, mais rien d’autre. Le procureur entamera d’ailleurs ses réquisitions par cette phrase “On ne juge pas un contexte”.
Le “sauveur”
C’est pourtant ce qui se passe tout au long de la matinée, avec douze témoins cités par les trois avocats de la défense, tous venus encensés le prévenu, le “sauveur“, tout de noir vétu, jusqu’à son traditionnel collier de boule. “C’est un grand homme, il faudrait le décorer plutôt que de le juger” lance le maire de Paea Anthony Géros, qui revient sur la crise sanitaire qui atteignait son pic morbide à l’époque des faits. Il a côtoyé de près le docteur Théron à la salle Manu Iti de la commune, transformée en centre d’accueil des malades géré par Jean-Paul Théron. Il plébiscite l’abnégation du docteur qui dit avoir suivi jusqu’à 80 personnes en même temps 24 heures sur 24, à une époque ou le centre hospitalier, même avec des renforts arrivés de métropole était submergé et devait “trier les malades“. “Toutes les communes auraient dû avoir leur Théron !“, ajoute-t-il.
On ne dérange pas un homme qui soigne !
Concernant l’agression du clerc d’huissier et l’outrage aux gendarmes, deux versions s’opposent à nouveau. Celle du médecin qui avance tout d’abord un principe clair. En substance, gare à ceux qui viennent le déranger lorsqu’il est en consultation lors de cette période d’extrêmes tensions, avec souvent à gérer des patients en urgence vitale. Il réfute le fait d’avoir lancé un objet en direction de la victime. La blessure constatée sur le bras de l’huissier est, selon lui, due à un choc sur sa rambarde, ou à un arbre. Le fils du gardien de l’immeuble est le seul à avoir vu la scène. Lors de son audition, il dit avoir vu le docteur jeter un objet métallique sur le bras de l’huissier, puis avoir vu le bras touché enfler et saigner à cause d’une petite plaie.
Des témoignages peu convaincants

le clerc d’huissier Reui Krause
n’a jamais pu reprendre
le travail et a été licencié.
Selon les intervenants, on a décrit un huissier énervé venu en découdre à une heure trop tardive, ou au contraire un homme encore traumatisé qui a perdu son emploi suite à son agression. L’objet lancé a d’abord été décrit comme une fourchette à barbecue, avant un long débat sans intérêt sur le fait de savoir si c’était un plateau ou un dessous-de-plat. On ajoute à cela des témoins qui, au final, n’ont pas vu grand chose, un voisin qui mime le plan de la scène, se penchant au dessus d’un balcon virtuel, ou encore un avocat qui s’improvise technicien de la police scientifique pour évaluer l’impact qu’aurait du avoir le projectile ménager en fonction de la hauteur de la rambarde, si toutefois il avait été lancé. On s’embourbe.
Pour ce qui est des gendarmes venus deux jours plus tard, là encore l’appréciation de la scène varie d’un côté à l’autre de la salle.
“Si vous continuez il va vous arriver la même chose qu’à l’huissier” aurait dit le docteur selon les gendarmes cités par les parties civiles.
“Si je ne m’en vais pas, vous allez me faire comme à l’huissier ?” aurait déclaré la gendarme, selon la défense et quelques-uns de ses témoins.
Le soufflé du procès politique est retombé
Le docteur Théron, au milieu de tout ça, ne montre pas la fougue de jadis. Il faut dire que le parti politique d’opposition qui le soutenait contre un gouvernement qui voulait, selon lui, lui nuire avec acharnement, est maintenant au pouvoir. Que l’on sait que les bienfaits de l’hydroxychloroquine étaient proches de zéro. Que l’on reconnaît tous, plus ou moins grossièrement, que cette crise sanitaire a été, globalement, difficile à gérer par des gens qui ont, à l’échelle locale, perdu leur place. C’était pourtant les arguments lancés avec panache à chaque renvoi par le médecin rebel, des arguments qui, deux ans plus tard, ont perdu leur impact. Et même s’il n’a pas manqué d’égratigner l’ancien procureur Hervé leroy, mis sur le dos de son arrestation la mort d’un patient, accusé l’huissier d’être un ancien dealer, et, à plusieurs reprises, manifesté son manque de confiance dans la justice, le soufflé du procès politique d’une victime du système est clairement retombé.
Situation sanitaire extrême de l’époque
Après que les parties civiles aient demandé environ deux millions d’indemnités à Jean-Paul Théron, comprenant dommages et intérêts, préjudices morales et frais de justice, les avocats de la défense se succèdent pour rappeler la situation sanitaire extrême de l’époque. Ils décrivent deux mondes, celui des décideurs derrière leurs bureaux, et celui des médecins sur le terrain, confrontés aux décès qui s’enchainent. C’est dans ce contexte que le docteur Théron, qui dit ne jamais avoir dormi plus d’une heure d’affilée pendant 10 semaines à l’époque, que les faits se sont produits. Habitué des punchlines, après avoir cité le Président Emmanuel Macron qui parlait de “guerre”, Me Thibaut Millet lance : “On n’imagine pas un huissier venir remettre une convocation à un soldat dans une tranchée“. Exagéré, mais efficace.
Un procès “orchestré” par le parquet
Le procureur insiste sur le fait qu’aucune situation ne justifie les faits reprochés à Jean-Paul Théron. “L’état sanitaire même extrême n’autorise aucun franchissement du code pénal” dit-il. Il rappelle que parmi la nuée de témoins il n’y en a finalement qu’un seul qui a vu la scène de près, le fils du gardien, qui confirme qu’il a vu un objet lancé et le bras de l’huissier blessé. Il requiert six mois de prison avec sursis. Pour ses derniers mots, après s’être sincèrement excusé auprès de l’huissier pour la manière dont il s’était adressé à lui, Jean-Paul Théron repasse une dernière fois à l’attaque. Il dit “avoir honte de l’attitude de l’ordre des médecins“, accuse la gendarme outragée de mensonge et annonce une plainte contre elle, puis réaffirme que tout cela a été “orchestré par l’ancien procureur Hervé Leroy“, aux ordres d’une justice en qui il n’a plus “une grande confiance“. Le délibéré sera rendu le 10 octobre prochain.
YP