
Les craintes évoquées lors de la réunion publique du 15 septembre 2023 sont toujours d’actualité. Pour l’association Vai Ara O Teahupo’o qui milite depuis quatorze ans en faveur de la protection de l’environnement, un chantier à l’approche des Jeux Olympiques cristallise les inquiétudes : la future tour des juges.
Lundi 09 octobre 2023, une conférence de presse s’est tenue à ce sujet à la pointe Fare Mahora, en présence d’une vingtaine d’habitants, membres de l’association, surfeurs, pêcheurs, prestataires nautiques, etc. Cette rencontre fait suite à plusieurs semaines de collecte d’informations auprès de plusieurs services du Pays par les membres de l’association, qui ont relevé plusieurs “aberrations”.
Pas d’étude d’impact
“Il n’y a aucune étude d’impact environnemental. Ça ne serait pas indispensable réglementairement parlant pour ce type d’ouvrage dans le lagon. Ça nous surprend que Paris 2024 et le COJO n’aient pas exigé une étude d’impact, au vu de leurs exigences environnementales affichées. Et la Direction de l’environnement n’est pas associée au projet”, remarque Cindy Otcenasek, présidente de Vai Ara O Teahupo’o, qui évoque un “vide juridique”. Une notice d’impact a été effectuée par le bureau d’études Créocéan, mais l’association n’y a pas encore eu accès.
Si le poteau émergé de 4 mètres ne fait plus partie du projet, reste la canalisation de 600 à 800 mètres qui sera coulée dans le fond du lagon sous une coque en fonte pour connecter la future tour à la fibre, au réseau d’eau et à l’électricité. “Quels sont les risques pour le récif ? Où est l’innovation promise, notamment en termes d’énergies renouvelables ?”, interrogent les participants.



Quel héritage ?
Tous sont particulièrement inquiets pour l’avenir de la vague mythique de Teahupo’o, en lien avec les fondations du projet : 12 plots en béton armé fixés par 6 pieux chacun, soit 72 pieux de 4 mètres de long, sans précision sur la technique d’implantation. “Toute dégradation du récif peut perturber la formation de la vague”, peut-on lire sur une affiche à la mairie, signée par l’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor). “Quand on lit ça, est-ce qu’on peut rester indifférent ? Qui peut nous garantir que cette installation ne va pas abimer le récif ? C’est ça, notre héritage !”, poursuit Cindy Otcenasek. Un point crucial, entre préservation de l’existant et projections post-JO.
D’autres craintes ont été soulevées, comme les risques de propagation de la ciguatoxine, et dans un volet plus financier, les perspectives de réutilisation de la tour par la WSL ou sur d’autres spots, qui ne sont pas encore garanties.
L’appel est directement adressé à Paris 2024 et à son président, Tony Estanguet. “Ils doivent revoir leur copie et revoir à la baisse le cahier des charges (…) pour réutiliser la tour en bois, quitte à l’améliorer. S’adapter à ce qui existe déjà, c’est ce qu’on nous avait promis”. Les pistes de solutions évoquées sont de réduire le nombre de personnes sur la tour, d’opter pour des toilettes sèches et du gel hydroalcoolique, de miser sur des panneaux solaires ou sur un groupe électrogène, ou encore sur le Wi-Fi ou sur un simple câble sous-marin souple pour internet.
Une marche pacifique, dimanche 15 octobre
Pour appuyer leurs revendications, les membres de l’association ont lancé un appel à la mobilisation sous la forme d’une marche pacifique, dimanche 15 octobre 2023. Le départ sera donné à 11 heures à la mairie de Teahupo’o en direction du PK 0, où une cérémonie dans le lagon est prévue avec des couronnes de ‘auti.
Une première au Fenua dans le cadre de l’organisation des épreuves olympiques de surf. “On a choisi de faire une marche parce que la voix d’une partie de la communauté n’est pas entendue. C’est un cri d’alerte, en espérant que ça suffise. Je veux y croire, et si on médiatise aujourd’hui, c’est parce qu’on veut être entendus jusqu’à Paris, qui sont les seuls à pouvoir revenir sur leurs exigences”, souligne Cindy Otcenasek. “Le risque est tellement grand : on ne peut pas tout accepter”, conclut la vice-présidente de l’association, Aimatarii Levy.
Pour l’heure, l’éventualité d’un blocage n’a pas été évoquée, d’autant que le chantier n’est pas encore lancé.
Les surfeurs prennent la parole
Tahurai Henri (très ému, ndlr) : “Cette tour nous interpelle, car elle nous fait peur. Elle me hante cette tour : elle va tout casser ! On connaît cet endroit comme notre poche et savoir que ces choses vont être montées sans nous avoir consultés… On vit ici, on mange ici, on passe nos meilleurs moments ici, et c’est vraiment difficile pour un habitant de Teahupo’o de se dire qu’on peut tout perdre pour quelques jours de compétition, même si, je le répète, nous ne sommes pas contre les JO. Mais avant d’être une Terre des Jeux, ici, c’est une terre des dieux. La culture et le Fenua sont importants pour le ta’ata Tahiti (…). Même avec des milliards, il y a des choses qui ne se rachètent pas“.
Lorenzo Avvenenti : “On ne veut pas hériter de cette tour à 500 millions qui va casser notre récif. (…) On veut rester sur une tour en bois. Pas besoin d’être un scientifique pour voir que ce qu’ils font, ça ne va pas. Il n’y a aucun respect envers la nature et la population. (…) J’espère vraiment qu’ils vont nous écouter”.

Matahi Drollet : “Je suis inquiet en tant que surfeur par rapport à la formation de la vague, parce qu’on sait très bien que 72 pieux vont être enfoncés dans le platier. Je veux être sûr que la faille actuelle ne va pas être modifiée, sinon, on aura tout perdu ! En tant que pêcheur, j’ai peur que les maito et tous les autres poissons deviennent ta’ero. Quand on stresse un récif, ça émet une algue et ça a des effets comme la ciguatera. On préfère prévenir que guérir. On veut se faire entendre sur ces sujets qui nous tiennent à cœur. On n’est pas contre les JO, mais les enjeux deviennent trop importants : on ne peut pas fermer les yeux”.