
Tian Lixiao, le Consul de Chine en Polynésie française, est en poste au fenua depuis un an. Il confirme que les bureaux du consulat déménageront rue Wallis, à Papeete. Nous l’avons rencontré pour évoquer de nombreux sujets : la communauté chinoise, “un pont très solide et précieux dans l’amitié entre la Chine et la Polynésie française” ; le tourisme, pour le développer, il a discuté avec le président Brotherson de la possibilité d’un vol direct entre la Chine et Tahiti ; Concernant le projet aquacole chinois avorté à Hao, il indique qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un projet à visée géopolitique. D’une manière générale, “Je ne pense pas qu’il y ait de lutte d’influence dans cette région” affirme même le consul. Il fait le point également sur Taïwan et la volonté chinoise d’une “réunification pacifique” ; Pékin souhaite par ailleurs “un règlement politique et pacifique de la crise entre la Russie et l’Ukraine”.


(Photo Présidence)
• Où étiez-vous en poste précédemment ? Appréciez-vous la vie polynésienne depuis votre prise de fonctions ?
Avant d’arriver à Tahiti, j’ai travaillé à l’Office du ministère des Affaires étrangères de Chine dans la région administrative spéciale de Hong Kong. J’ai également travaillé à la mission permanente de Chine auprès de l’Office des Nations unies à Genève, ainsi qu’à l’ambassade de Chine à Singapour. Entre temps, je suis rentré en Chine au ministère de Affaires étrangères, dans le département des traités et du droit. Je suis arrivé en Polynésie française en septembre 2022. Je suis très content de mon affectation à Tahiti, où je dois rester en mission pendant trois ans.
• Qu’y a-t-il de commun, selon vous, entre les cultures chinoise et polynésienne ?
En Polynésie, la population est très gentille et optimiste. Elle attache de l’importance aux valeurs familiales et fait attention à l’environnement… Je trouve des similitudes avec la population chinoise sur ces points. Et puis il y a l’histoire, les premiers Polynésiens sont arrivés d’Asie, et il y a une communauté chinoise très présente à Tahiti et dans les îles.
• La culture chinoise vous parait-elle encore vivace à Tahiti ?
Oui, notamment avec le Nouvel an, la Fête de la lune, etc. On a pu célébrer cela ensemble avec la communauté chinoise. On a échangé avec cette dernière sur beaucoup de domaines. A Tahiti, les associations sont très actives, à l’exemple du Si Ni Tong, de l’AS Dragon, de l’Association philanthropique chinoise avec laquelle on a récemment célébré la Fête de la lune. On se rencontre souvent.
Quand on parle avec eux, ils sont très fiers de leurs origines chinoises. Nous comprenons bien qu’ils sont de 3ème, 4ème, même 5ème génération des premiers Chinois qui sont arrivés ici il y a plus de 150 ans, qu’ils sont de nationalité française, détiennent le passeport français et parlent français maintenant. Mais leurs liens avec la Chine sont très forts, surtout au niveau culturel et historique. Le plus important est qu’ils constituent un pont très solide et précieux dans l’amitié entre la Chine et la Polynésie française.
• Combien de personnes travaillent au consulat ? Quand le déménagement à Papeete est-il programmé ?
Six personnes travaillent au consulat. Actuellement situés à Taina, nos bureaux déménageront ensuite dans de nouveaux locaux, rue Wallis, à Papeete.


• Comment se caractérise l’activité du Consulat de Chine en Polynésie française ?
Selon la Convention de Vienne, l’une des missions principales est de protéger et sauvegarder les droits et intérêts légitimes des citoyens et institutions chinois ici. Mais ma mission consiste aussi à favoriser un renforcement des liens entre la Chine et la Polynésie française. Nous fournissons des circuits pour délivrer des documents consulaires, donner des renseignements pour nos citoyens et pour les gens qui ont envie d’aller en Chine, et nous accueillons aussi des Chinois qui viennent de Chine. Selon les données partagées par le gouvernement polynésien, une centaine de ressortissants chinois ayant le permis de travail sont recensés en Polynésie française.
“Nous avons évoqué la possibilité
d’un vol direct Chine-Tahiti”
• Quelles relations la Chine populaire entretient-elle, par votre intermédiaire, avec les autorités de la Polynésie française ?
Notre responsabilité est de maintenir de bonnes relations avec le gouvernement local. Depuis 2007, année de la mise en place de notre consulat, nous entretenons un bon dialogue avec le gouvernement local et le haut-commissariat. Nous échangeons beaucoup.
• De quelle manière, selon vous, la Chine et la Polynésie française auraient-elles intérêt à renforcer leurs liens ?
Nous travaillons de concert pour promouvoir un développement en commun, dans le domaine du tourisme par exemple. Nous encourageons les touristes chinois à venir, mais aussi les Polynésiens à aller faire du tourisme en Chine.
La Polynésie française exporte aussi d’ici beaucoup de perles de Tahiti vers la Chine, surtout Hong-Kong. Il existe un gros potentiel sur ce marché. Avec notre gouvernement, nous voulons favoriser ce genre d’échanges. Ici, chaque année, il y a aussi pas mal de personnes qui cherchent des matériaux de construction, des articles d’usage en Chine, etc. En import/export, les relations commerciales entre la Polynésie française et la Chine sont importantes également.
Il existe aussi, des deux côtés, une forte demande concernant les échanges scolaires. Beaucoup d’élèves apprennent le chinois ici. Les établissement scolaires nous sollicitent parfois pour tisser des liens avec des écoles en Chine afin d’établir ce genre d’échanges. Nous avons le grand plaisir de travailler de concert avec le ministère de l’Education et le Vice-rectorat qui partagent la même volonté de répondre à l’attente des élèves, des écoles, en promouvant tous ces projets.
• Il existe en Chine des personnes fortunées. Le tourisme chinois est-il amené, selon-vous, à se développer en Polynésie française ? L’obligation de transiter par Tokyo pose-t-elle problème ?
Nous assurons toujours la promotion du développement touristique à Tahiti et dans les îles. Nous avons rencontré le ministre du Tourisme à ce sujet, qui n’est autre que le président du Pays Moetai Brotherson.
Pour attirer les touristes chinois, nous sommes face à deux problèmes. D’abord le visa pour les touristes chinois, ensuite la longueur du trajet pour venir à Tahiti. Nous avons parlé de cela avec le Comité du Tourisme de Moorea. Nous avons aussi discuté avec le président Brotherson de la possibilité d’un vol direct. Nous partageons tous cette envie, le gouvernement de la Chine, celui de la Polynésie française, ainsi que des entreprises privées. Un accord a déjà été signée en 2014 pour établir cette ligne directe. En matière juridique, il n’y a pas d’obstacles. Il faut maintenant mettre en œuvre cette volonté, travailler avec les compagnies aériennes et les autres parties prenantes. Des études restent à réaliser.
• Le changement de majorité politique à Tahiti implique-t-il un nouveau type de relations Chine-Tahiti ?
Les relations restent les mêmes, qu’il s’agisse de l’ancien ou du nouveau gouvernement. Nous maintenons le même cap, avec le même respect. Nous souhaitons renforcer la coopération dans les domaines tels que le commerce, le tourisme, la culture.
• Le projet de ferme aquacole à Hao porté par Wang Cheng est-il toujours d’actualité ? Est-il juste de penser que l’atoll de Hao intéresse la Chine pour sa piste d’atterrissage très longue ?
Ici, il n’en est rien question de géopolitique. Ce projet émanait d’une société privée, avec pour but, un bénéfice partagé avec la population. Cette société est venue chercher un développement pour son business, pour développer l’aquaculture. Ce sont surtout les gens extérieurs au dossier qui y voient une question d’ordre géopolitique. Nous n’avons pas l’intention ni la volonté de jouer des jeux géopolitiques dans la région. Selon ce que je sais, le patron de Tahiti Nui Ocean Foods (TNOF) a rencontré des problèmes extérieurs hors de sa capacité pour mener à bien son projet. Du coup, il essaie de chercher ailleurs, en dehors de la Polynésie française. Je ne sais pas ce qu’il va faire. C’est une entreprise privée, il fait ce qu’il veut.
Si ce projet avait pu être mené jusqu’au bout, la production locale (aquaculture, poissons, crevettes par exemple) aurait pu accroître l’autonomie alimentaire. L’exportation aurait aussi pu être possible. C’est une bonne chose de développer l’économie locale afin que la population en bénéficie.
Nous sommes obligés d’importer les produits alors qu’il aurait été possible de les produire localement. Avec l’implantation d’entreprises étrangères, en collaboration avec les entreprises locales, nous pouvons répondre aux demandes du marché local et même augmenter le niveau de vie de la population.
• Pékin apporte-t-il son soutien, comme certains analystes le prétendent, aux mouvements indépendantistes dans le Pacifique, notamment en Nouvelle-Calédonie ?
En Chine, l’une des politiques principales, dans la diplomatie, c’est la non-ingérence dans les politiques locales. La Chine veut juste de bonnes relations avec les gouvernements locaux.
“Je ne pense pas qu’il y ait
de lutte d’influence dans cette région”
• La Chine a signé un accord de coopération avec les îles Salomon et développe sa présence diplomatique dans le Pacifique. Même logique pour les USA qui multiplient les contacts avec les leaders du Forum des îles du Pacifique. Pourquoi cette lutte d’influence entre Chine et USA ?
Je ne pense pas qu’il y ait de lutte d’influence dans cette région, ni ailleurs, ce sont des idées créées par l’extérieur. La volonté de la Chine, notre aspiration, c’est de chercher un développement commun, avec un bénéfice partagé. Après avoir sorti de la pauvreté plus de 800 millions de Chinois dans notre pays, nous voulons maintenant partager notre développement avec d’autres pays.
La Chine ne s’intéresse qu’au développement et à l’amélioration de la vie des peuples. Il y a des problèmes en commun, auxquels il faut faire face ensemble. C’est dans cette logique que nous souhaitons développer une coopération avec les pays du Pacifique.
“Taïwan est un territoire de la Chine.
Les tensions sont créées par des forces extérieures”
• La situation à Taïwan est plus tendue que jamais, avec des incursions quotidiennes d’avions de chasse chinois dans l’espace aérien taïwanais. Comprenez-vous les inquiétudes que cette situation suscite ? Pourquoi est-ce à ce point essentiel pour Pékin de vouloir reprendre Taïwan ?
Taïwan est un territoire de la Chine depuis l’ancienneté. Pour nous, il n’y a jamais eu d’incertitudes sur ce sujet. Cela fait partie de nos affaires intérieures.
Le principe d’une seule Chine est un consensus universel pour la communauté internationale. C’est une norme fondamentale des relations internationales. Ce principe a été explicitement consacré par la résolution 2758 de l’assemblée générale des Nations unies, en 1971.
Les tensions sont créées par des forces extérieures et des séparatistes visant une pseudo-indépendance de Taïwan. Ce sont eux qui font étalage de leur puissance militaire dans cette zone.
Il y a aussi beaucoup de documents, de conventions multilatérales qui soutiennent ce principe d’une seule Chine, en plus des résolutions des Nations unies. Il y a par exemple la Déclaration du Caire et la Proclamation de Potsdam. C’est la base politique pour 181 pays qui ont établi des relations diplomatiques avec la Chine. Tous reconnaissent le principe d’une seule Chine.
Nous ne renonçons pas à tout ce qui est en notre pouvoir pour réaliser la réunification de la Chine toute entière. C’est notre objectif et une aspiration de notre peuple. Cela reste une affaire intérieure de la Chine, mais la priorité est une réunification pacifique.


(Photo STS)
Certains font beaucoup de bruit et insinuent que la Chine va faire appel aux armes pour réaliser cette réunification. Ils omettent certains éléments, en particulier les sécessionnistes et les ingérences étrangères qui ont envie de séparer Taïwan de la Chine. Sur le recours à la force, nous ne ciblons en aucun cas nos compatriotes de Taïwan, mais les ingérences des forces extérieures et les activités sécessionnistes. Ce sont eux dont ils doivent s’inquiéter. Mis à part cela, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
“Ces accusations de surpêche de la Chine sont des propos irresponsables et diffamatoires”
• Les flottilles de pêche asiatiques, notamment chinoises, sont accusées de pratiquer la surpêche et de mettre en danger les stocks de poissons et la biodiversité dans le Pacifique. Que répondez-vous à ces accusations ?
Je ne pense pas qu’il y ait de surpêche des flottilles chinoises. Il y a des conventions internationales et régionales pour protéger les ressources maritimes. C’est le droit international et la Chine respecte cela, ainsi que les conventions qu’elle a signé.
Pour les bateaux chinois qui pêchent en haute mer, le gouvernement chinois leur demande de respecter le droit international ainsi que les lois locales des pays voisins.
Ces accusations de surpêche de la Chine sont des propos irresponsables et diffamatoires. Nous avons également nos lois pour sauvegarder les ressources maritimes. Nous avons aussi des zones et des périodes de cessation de pêche dans l’année pour le renouvellement des ressources.
Nous savons que certains pays pratiquent la surpêche dans certaines parties du monde, provoquant des extinctions de poissons. Nous n’accuserons personne ici. Le plus important, pour nous, c’est de s’assurer que nos pécheurs respectent les règles et lois, pour protéger l’environnement, protéger la pêche durable. Si des bateaux chinois ne respectent pas, des sanctions leur seront appliquées.

(Photo D.Grivois)

• La Chine a développé un système digital très perfectionné de surveillance permanente de chacun de ses citoyens par reconnaissance faciale. Comprenez-vous que cela puisse faire peur à des peuples pour qui le respect des libertés est essentiel ?
La Chine est un grand pays, avec un vaste territoire et 1,4 milliard d’habitants. Cela est pour la sécurité de tout le monde. C’est plutôt un service public pour le peuple.
Par exemple, sur la route, cela peut aider la police à résoudre les accidents, comprendre et identifier leurs causes. C’est rendre service à la sécurité publique.
En Chine, il y a un sentiment de sécurité élevé. Les filles peuvent se balader la nuit sans souci. C’est un pays très sûr.
• La Chine a publié l’édition 2023 de la carte de ses frontières, qui confirme que Pékin s’adjuge d’autorité des territoires de pays voisins. Tous ces pays ont protesté, sauf la Russie. Pourquoi cette initiative qui tend les relations diplomatiques ?
C’est une pratique habituelle qui n’a jamais changé, mais pourquoi aujourd’hui on commence à faire du bruit là-dessus ? Cette carte a été renouvelée ainsi depuis des années.
“La Chine ne penche ni pour la Russie, ni pour l’Ukraine.
L’important ici, c’est la réconciliation et la paix”
• Quelle est la nature et l’ampleur du soutien de la Chine à la Russie, notamment dans le cadre de la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
La Chine maintient ses relations avec tous les pays sur les cinq principes de coexistence pacifique. Le principe est de mettre tous les pays sur un pied d’égalité. Nous maintenons des relations sur une même base.
Sur cette crise ukrainienne, Pékin souhaite un règlement politique et pacifique de la crise. La Chine ne penche ni pour la Russie, ni pour l’Ukraine. L’important ici, c’est la réconciliation et la paix.


• En mer de Chine méridionale, Pékin remblaie artificiellement des récifs afin de créer des îles. Pourquoi la Chine revendique-t-elle la quasi totalité de l’espace maritime de la Mer de Chine méridionale ?
Ma spécialité est le droit international. Pékin n’a jamais demandé à avoir toute la mer de Chine méridionale. Encore une fois, ces accusations viennent de l’extérieur. Sur ce dossier, il y a deux aspects qu’il faut bien distinguer l’un de l’autre, mais certains mélangent, souvent par erreur.
Sur les espaces maritimes, la mer de Chine méridionale constitue un passage important pour la communauté internationale. Les bateaux ont la liberté d’y passer et la Chine l’assure.
Ce que la Chine revendique, ce sont les îles et îlots dans la mer de Chine méridionale. Ces terres dépendent de notre souveraineté depuis l’ancienneté. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, notre souveraineté y est d’autant plus claire en vertu du droit international, ainsi que nos droits sur les espaces maritimes environnants selon le droit international maritime.
Il y a eu des ambiguïtés sur le sujet. Pendant certaines périodes particulières, comme par exemple la révolution culturelle, durant laquelle des pays voisins se sont accaparés certaines îles. Certains pays réclament aujourd’hui ces îles alors qu’elles appartiennent à la Chine.
Il y a eu un arbitrage sur ce sujet, sur ces îles, sur la base des conventions du droit maritime. Mais cela ne concerne pas les îles, juridiquement cela ne tient pas. Le droit international doit être le socle juridique. Selon le droit international, ces îles, juridiquement et historiquement, appartiennent à la Chine. Pékin y exerce donc sa souveraineté.
• Quel est votre programme à venir en qualité de Consul ?
Il y aura des visites avec le gouvernement et le haut-commissariat. Nous débutons également la célébration du Nouvel an chinois en février prochain. C’est une année importante pour nous car elle marque le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. Et le nombre 60 est symboliquement très important pour la Chine.
Il y a aussi les Jeux olympiques l’année prochaine. Et aussi l’année du Tourisme culturel entre la Chine et la France. Nous avons plein de choses à préparer pour les manifestations de l’année prochaine.
Interview réalisée par Damien Grivois
Photo : Sébastien Berson

(Photo Damien Grivois)