
La future tour devant accueillir les juges et les caméras lors des épreuves de surf des Jeux Olympiques de Paris 2024 est au cœur d’une polémique environnementale grandissante. Pour tenter d’apaiser les craintes, une réunion s’est tenue en fin de matinée, samedi 21 octobre 2023, sur le chantier de la pointe Riri, à Toahotu.
Choix techniques et précautions environnementales
Face au président du Pays et à la ministre des Sports, les équipes de l’IJSPF et les prestataires sélectionnés sont revenus sur les choix techniques et les précautions prises dans le cadre de ce chantier en mer qui suscite tant d’inquiétudes. Plusieurs associations environnementales avaient été conviées à cette présentation.


“Notre mission a été de faire une reconnaissance sous-marine du site de la tour et du passage du câble. Ça a permis de mettre en évidence les zones à fort enjeu écologique. On a défini un cheminement du câble de l’atterrage vers la tour qui n’abîme rien en passant entre les patates de corail. Il a été balisé sur le fond pour permettre aux entreprises de suivre ce chemin pour ne casser aucuns coraux, conformément au cahier des charges qui contient des obligations, des interdictions et des préconisations. On sera sur place au démarrage, en cours de chantier et à la fin”, nous a indiqué Fany Seguin, représentante du bureau d’études Créocéan. Concernant les craintes liées à la ciguatera, il nous a été indiqué que plusieurs prélèvements de contrôle seront effectués par l’Institut Louis Malardé (ILM).
Le concepteur de l’actuelle tour en bois, Moana David, a tenu à s’exprimer lors de cette présentation. “Je trouve normal de créer de nouveaux plots, parce que la nouvelle tour est plus lourde. Il faut qu’on trouve un consensus pour faire un bel évènement et montrer qu’on est un peuple d’accueil. Il faut tirer le côté positif de tout ça : les associations ont ouvert les yeux pour les projets futurs”.
“On reste des sentinelles”
Une démonstration de la foreuse choisie pour l’implantation des pieux qui viendront fixer les fondations en béton dans le platier de Teahupo’o a été effectuée par l’entreprise Boyer. Les prévisions actuelles tablent sur trois semaines de forage, à raison de 6 pieux par jour. La barge qui sera acheminée sur le chantier a également été présentée, rehaussée sur ses stabilisateurs. Le tirant d’eau annoncé est de 80 centimètres.


Annick Paofai n’a pas manqué d’interroger les professionnels. “Nous avons demandé cette rencontre depuis mardi pour qu’on nous explique tout comme il faut. Il ne faut pas se leurrer : pendant la pose des plots, c’est sûr que les poissons vont être stressés, au même titre que quand je répare mon ponton. En revanche, quand on s’arrête, ils reviennent aussitôt. De toute façon, on ne peut pas faire marche arrière. Tous ceux qui vont travailler sur les JO vont faire attention à notre nature, et on va y veiller ! Mon vice-président, Joël Paofai, sera sur le chantier tous les jours. On reste des sentinelles”, a prévenu la présidente de l’association de défense du Fenua ‘Aihere.
Pour Milton Parker, riverain de la pointe Fare Mahora, il va falloir joindre la parole aux actes. “Je suis un peu rassuré, mais je ne suis pas totalement convaincu. J’ai du mal à me projeter par rapport à ces travaux. C’est pour ça que je vais garder un œil, et même les deux yeux sur ce chantier. C’est notre garde-manger, et c’est aussi ce spot qui nous fait vivre. On a investi dans l’hébergement et les excursions, et cette entreprise, je veux la transmettre à mon fils plus tard”.
Pour l’heure, aucune date quant au lancement du chantier n’a été annoncée. L’entreprise Boyer attendrait “des conditions de houle plus favorables et le feu vert de l’IJSPF”. Moetai Brotherson a annoncé qu’il ferait son possible pour “être sur l’eau le jour du premier forage” et qu’une autre rencontre serait proposée “aux absents”.


“Une offense” pour Vai Ara O Teahupo’o
Impossible de faire l’impasse sur une absence remarquée : celle de l’association Vai Ara O Teahupo’o, organisatrice la marche pacifique et à l’origine d’une pétition en ligne largement relayée. “Nous avons refusé l’invitation, parce qu’accepter de venir aurait signifié accepter l’implantation de ces plots, et parce que la démonstration sur fond sablonneux n’est pas pertinente, puisque le chantier est prévu sur un platier”, nous a indiqué sa présidente, Cindy Otcenasek, qui considère cette approche comme “une offense supplémentaire à l’association Vai Ara O Teahupo’o, aux 400 personnes qui sont venues marcher, aux 60.000 pétitionnaires, aux 7 millions de vues de la vidéo de Matahi (Drollet, ndlr) et à la biodiversité marine de Pererure”.
Suite à la réunion du lundi 16 octobre 2023 dans les locaux de l’IJSPF, à Pirae, l’association, qui tiendra une réunion publique, ce samedi soir, à la salle omnisports de Teahupo’o, a émis deux propositions par courrier : améliorer la tour en bois sur les plots existants et sans réseau sous-marin, ou installer la tour en aluminium à terre.
Moetai Brotherson, président de la Polynésie française :

“Les Jeux ne sont pas compromis”
“J’aime répondre sur des faits, donc j’ai demandé à avoir tous les renseignements en termes d’impact environnemental et de contraintes techniques par rapport à ce qui est projeté d’être fait à Teahupo’o. Nous avons convié toutes les associations, mais certaines ne sont pas là, ce que je regrette : on peut ne pas être d’accord, mais il faut venir voir et entendre les explications, sinon on est dans l’irrationnel. Ce que nous a montré l’entreprise Boyer semble tout à fait maîtrisé : il y a un coffrage qui est placé autour de la zone de forage, à l’emplacement de la tour actuelle, soit à 250 mètres du récif, avec la pose d’une barrière de protection biologique. Pour moi, on fait le maximum.
Aujourd’hui, les Jeux ne sont pas compromis. Mais si on laisse déborder les choses et, qu’au final, les Polynésiens ne veulent pas de Jeux, il n’y aura pas de Jeux, il faut être clair là-dessus aussi. Il faut faire attention à ce qu’on veut. Il faut venir et discuter pour essayer de trouver des solutions. Il y a quelques semaines, il y a eu un débat sur un poteau qui devait rester dans le lagon : on a trouvé une solution et il n’y a plus de poteau. C’est dans la discussion qu’on progresse, pas dans une opposition sans issue. Je suis toujours dans le dialogue”.
Nahema Temarii, ministre des Sports :
“Paris 2024 va nous accompagner financièrement sur l’intensification des contrôles”
“On a invité Paris 2024 à nous accompagner financièrement sur l’intensification des contrôles de Créocéan sur la tour des juges. C’est un premier geste et Paris 2024 a répondu favorablement à cet appel. On a aussi demandé à chiffrer une mission d’assistance à ouvrage pour permettre à un autre bureau d’études d’englober l’ensemble des travaux, pour être déclenché dès qu’il y a quelque chose ou un risque.
Il faut que les associations entendent qu’on comprend. Il faut aussi que ça serve de leçon au gouvernement, quel qu’il soit. Il faut construire avec la population. Si on se retrouve dans cette situation, c’est parce que les associations ont le sentiment, à juste titre, d’avoir été dupées depuis le début de cette candidature en 2019. D’où notre présence ici aujourd’hui”.