“C’est un métier extrêmement difficile, un métier-passion qui suppose de la patience et de la dévotion, un métier pour lequel on ne compte pas ses heures et qui n’est pas très rémunérateur puisque je ne me verse que l’équivalent d’un salaire minimum…”
Romain Giraud, 33 ans, est depuis un an l’unique luthier à Tahiti. Installé dans la rue Cook à Papeete (“Atelier Lutherie Giraud” sur Facebook) où il ne reçoit sa clientèle que sur rendez-vous (“tellement mon temps est précieux”), l’artisan est capable de créer et fabriquer entièrement un instrument à cordes, en tout cas dans la famille des “cordes pincées” : guitares, ukulele, banjos, mandolines, basses, luths…
Avant de débarquer à Tahiti-Faa’a pour y rejoindre son épouse d’origine tahitienne, cet originaire du Var est d’abord un passionné de guitare, instrument qu’il pratique depuis l’âge de 12 ans environ. “J’ai commencé, comme beaucoup, sur guitare classique, car les cordes en nylon sont moins compliquées à aborder que les cordes en acier pour un débutant” explique Romain qui, à 14 ans, est déjà confronté à la difficulté d’effectuer un choix, puisque la filière Baccalauréat se refuse à lui.
“La question du travail s’est assez vite posée, mais aucun métier ne me bottait spécialement. Et puis ma mère, qui connaissait ma passion pour la guitare mais restait frileuse devant mon envie de devenir musicien, m’a emmené à Toulon rencontrer un authentique maître luthier. Ca a été le choc pour moi…”.
Cette rencontre avec un professionnel renommé est déterminante dans la suite de la carrière de Romain. “Le type m’a séché !” s’amuse encore aujourd’hui le luthier de Papeete. “Il m’a dit : prends un outil, n’importe lequel, va couper un arbre et fais-moi en une guitare que tu m’amènes ! En fait, c’était surtout pour tester la solidité de ma volonté…”
“Au moins 10 ans de formation”
Par la suite, “au culot”, il tape à la porte d’un luthier qui lui répond, “en toute logique”, qu’il n’a “pas le temps”. A force d’insister, le jeune homme obtient finalement le droit de se former auprès du professionnel. Une démarche qu’il valide ensuite avec trois mois de stage en Andalousie (Espagne), sur instruments acoustiques et électriques.
Si la lutherie est un métier noble qui peut faire rêver, Romain Giraud entend toutefois lutter contre certaines idées reçues et décrit son activité comme un vrai sacerdoce. “L’artisanat d’art demande de ne pas compter ses heures, et suppose une masse de connaissances énorme. Il faut au moins 10 ans de formation, idéalement au contact d’un maître luthier. Il faut apprendre à aiguiser ses yeux, ses oreilles, ses mains… Le matériel est très cher et l’activité rapporte peu. D’ailleurs 90% des luthiers vivent seuls !”
Pour être en mesure de créer un instrument, ou simplement l’entretenir, le régler, le réparer ou encore le restaurer, un luthier doit en effet savoir tout faire : ébénisterie, connaissance des essences de bois, maîtrise du travail du bois, électronique, techniques de collage et de vernissage, marqueterie, travail sur nacre, etc. Sans compter “un ensemble de théories et de règles mathématiques et physiques à respecter”.
Le tout en s’adaptant aux conditions tropicales de la Polynésie française, notamment son fort taux d’hygrométrie. “Bien sûr, ça fait travailler le bois des guitares” reconnaît Romain.
Avant de souligner toutefois que le pire scénario pour les instruments, ce sont les changements brusques de température ou de taux d’humidité. Romain explique enfin qu’il ne sait jamais combien de temps il va devoir consacrer à un instrument, d’où des délais de réparation parfois importants : “Si j’ai mal estimé la durée, au-delà du devis, eh bien la perte de temps est pour ma pomme… Une seule vérité : travailler vite et bien, en lutherie, ça n’existe pas !”.
Romain Giraud : “Un conseil : entretenez
régulièrement vos instruments”
“C’est la mentalité qui m’a d’abord surpris en Polynésie, cette gentillesses, cette qualité d’accueil, cette reconnaissance exprimée pour mon travail qui m’a beaucoup touché. Et puis aussi le nombre assez incroyable de bons musiciens. J’ai un fournisseur qui n’alimente que des professionnels comme moi, donc l’éloignement ne pose pas un vrai problème, concernant la disponibilité des pièces.
A la différence des taxes que l’on m’applique plein pot en qualité de professionnel, quasiment 50% du prix de mes commandes, et aussi forcément des délais qui sont plus longs ! Des surcoûts que je suis obligé de répercuter sur les prix…
La Polynésie m’a permis de travailler avec de nouvelles essences de bois : le Marumaru, le Tou, le Kahaia… J’ai sympathisé avec le patron de Fenua Wood qui me fait découvrit beaucoup de choses, ainsi qu’avec un luthier amateur à Mahina.
Si j’avais un conseil à donner aux guitaristes de Polynésie, ce serait d’entretenir et nettoyer régulièrement leur instrument, notamment la touche plaquée sur le manche. Certaines transpirations sont plus agressives que d’autres, au point de rapidement détériorer la touche.”