Un séminaire des rahui axé sur l’union et la surveillance

Clément Vergnhes, fervent défenseur du projet et adjoint au maire de Teva i Uta, a été choisi comme président de la toute nouvelle fédération des rahui polynésiens (Photos : ACL/LDT).
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Après la jeunesse et la culture, c’est l’environnement qui était au cœur des échanges menés au Motu Ovini, lundi 23 octobre 2023, dans le cadre d’un séminaire des rahui et des zones de pêche réglementées (ZPR) organisé par la Fédération des associations de protection de l’environnement (FAPE). Une cinquantaine d’invités ont répondu présents, dont des référents des comités de gestion des rahui de Tahiti, Moorea, Huahine, Ua Huka et Tubuai.

Le coup d’envoi de la journée a été donné par la commune de Teva I Uta avec un accueil traditionnel. “On est un peu à l’initiative de cette volonté de créer une fédération pour faire avancer les choses. On a proposé ce site de Mataiea qui est entouré d’eau, en lien avec la thématique du jour. Et pour faire approuver des décisions, la culture permet de faire la différence en donnant du sens”, souligne Clément Vergnhes, adjoint au maire.

Des atouts à valoriser et des difficultés à surmonter

Sous le fare pote’e surplombant le lagon, les échanges en assemblée plénière ont été riches avec des intervenants issus de différents services du Pays et de l’État, mais aussi des scientifiques, qui se sont relayés dans le partage d’informations, sans manquer d’être interrogés ou interpellés par les participants autour d’une thématique cruciale : la surveillance.

Solène Le Mouël, étudiante en deuxième année d’école d’ingénieur spécialisée en gestion des écosystèmes auprès de la FAPE, a présenté un état des lieux. L’occasion de faire émerger les freins principaux que sont la surveillance bénévole, le système complexe de prise de décision et des suivis scientifiques trop rares, mais aussi des éléments positifs comme les efforts fournis en matière de régénération des ressources et une réelle volonté de mutualiser les moyens.

Comment signaler une infraction ?

Onyx Le Bihan, biologiste marine fondatrice de To’a Hine Spirit, est revenue sur les compétences des communes, du Pays et de l’État en s’appuyant sur l’exemple du PGEM de Moorea, avant de passer la parole à Moana Maamaatuaiahutapu, directeur adjoint de la Direction des ressources marines (DRM), accompagné de Magali Verducci, en charge de la préservation et gestion des ressources lagonaires.

L’intervention du major Fredy Fragnière pour l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) a notamment permis d’éclaircir un point : “N’importe quel citoyen peut signaler une infraction”, photos et immatriculation à l’appui pour fournir des éléments tangibles aux enquêteurs, “pas pour publier sur les réseaux sociaux”. “Des sanctions sont prévues, amendes et saisie du matériel, comme ça a été le cas dans le rahui de Faa’a, l’an dernier”, poursuit le gendarme. “La personne doit être en action de pêche”, insiste un contrôleur de la DRM, quant à la prise de photos en guise de preuves.

Création de la fédération, présidée par Clément Vergnhes

La matinée s’est poursuivie par des ateliers en groupe pour aboutir à des propositions d’actions à partir des 6 axes définis lors du séminaire PROTEGE de 2022. Dans l’après-midi, des alternatives économiques ont été présentées autour des bénitiers, des algues ou encore des rori.

La journée s’est achevée par la création de la fédération polynésienne des rahui pour que cet élan de partage s’inscrive dans la durée, conformément à la volonté de la FAPE de “fédérer, informer et dynamiser”. Une cérémonie du kava est venue sceller cette union avec un lien symbolique entre les lei de ‘auti des participants. Clément Vergnhes, fervent défenseur du projet, est le président de cette nouvelle fédération. Il a été annoncé qu’une enveloppe de 5 millions de francs sera attribuée à la fédération par la fondation Pew Bertarelli. La première réunion de travail du bureau devrait intervenir d’ici un mois, à Mahina.

Winiki Sage, président de la FAPE :

“Officialiser la création d’une fédération polynésienne des rahui”

“L’idée, c’est de réunir le maximum de comités qui gèrent des rahui pour officialiser la création d’une fédération polynésienne. Le thème choisi, c’est la surveillance, car c’est un problème majeur. Il y a l’approche réglementaire et la question des moyens. C’est un échange d’expériences et de témoignages par rapport à ce qui fonctionne ou pas. Ne pas faire les mêmes erreurs, c’est l’un des objectifs fondamentaux de cette fédération. On peut partager des ressources scientifiques, des modes opératoires ou la façon de communiquer avec la population. Je tiens à féliciter tous les tavana qui jouent le jeu. Sans eux, c’est très difficile.

La première demande qui a été formulée ce matin, c’est de faciliter les démarches en cas d’infraction, que les règles soient applicables avec les moyens associés. L’objectif, ce n’est pas d’interdire, c’est de permettre à toute la population, notamment aux plus pauvres, de survivre grâce à la pêche. Lutter contre la pauvreté, c’est le premier des 17 objectifs de développement durable préconisés par l’ONU pour une humanité harmonieuse”.

Pierre Teissier, président de la fédération de pêche lagonaire de Moorea :

“S’unir sur un programme commun”

“Le rahui de Moorea existe sur le papier, mais pas encore dans la pratique. Si je suis là aujourd’hui, c’est parce qu’on nous a invités par rapport à la création de la première fédération des pêcheurs en mars 2023. Dans le conseil d’administration, il y a des élus municipaux, la Direction de l’Environnement et une majorité de pêcheurs. On est content, parce que c’est la première fois qu’on nous ouvre les grandes portes d’une responsabilité qui nous revient de droit.

C’est essentiel pour l’île entière, pas simplement pour les pêcheurs, de s’unir sur un programme commun en matière de perspectives environnementales et de la gestion du patrimoine lagonaire. J’ai 79 ans, et en cinquante ans, j’ai vu et senti une différence par rapport à la ressource, qu’il faut protéger. La différence, aujourd’hui, c’est qu’il y a une prise de conscience”.

Claude Chong, maire délégué de Haapu (Huahine) :

“Quand tout le monde est impliqué, tout le monde surveille”

“Je suis membre du comité de gestion du rahui de mon district, que nous avons créé il y a 11 ans. Aujourd’hui, on voit le résultat, qui est positif. Notre particularité, c’est qu’on a réussi à convaincre toute la population de l’utilité de ce projet, qui a été accepté.

Avant, pour la pêche aux crabes, l’ouverture était de 9 mois pour 3 mois de fermeture, ce qui donnait 150 à 200 kg. Aujourd’hui, c’est une alternance de 3 mois d’ouverture et de fermeture, deux fois par an, pour 600 à 800 kg. Le fait de voir le résultat fait que la population respecte le rahui : quand tout le monde est impliqué, tout le monde surveille. Il y en a très peu qui trichent. Si c’est le cas, on les attrape tout de suite.

Je suis content, parce que aujourd’hui, tous les districts de Huahine font pareil. Sur 8, il n’en reste plus que 2 à motiver. Je veux apporter aux autres notre expérience et ce qui fonctionne chez nous. Le mot d’ordre, c’est le respect, comme pour tout”.