Taravao d’antan : quatre matahiapo de Taiarapu-Est se souviennent

En marge du repas communal annuel, qui a rassemblé plus de 500 convives à Tautira, une aide-soignante, un pêcheur, un agent social et une commerçante retraités ont accepté de se plonger dans le passé (Photos : ACL/LDT).
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Chaque année depuis 2014, dans les semaines qui suivent la Journée internationale des personnes âgées, la commune de Taiarapu-Est organise un repas en l’honneur de ses anciens.

Vendredi 3 novembre 2023, plus de 500 convives de Faaone, Taravao, Pueu et Tautira étaient réunis à la salle omnisports de Tautira. L’an dernier, l’événement s’était tenu à Taravao, tandis que le rendez-vous est déjà pris à Pueu en 2024. “Il y a des animations avec un pari pari, des jeux, des chants et des danses pour qu’ils puissent s’amuser. C’est un moment attendu par les matahiapo, qui sont heureux d’être là”, confie Saindy Hiriga, sixième adjointe en charge des personnes âgées et des relations sociales.

“On évoque le passé avec plaisir”

Autour d’un ma’a Tahiti préparé par la paroisse protestante de Tautira, les discussions étaient effectivement enthousiastes. “Le but, c’est de les faire se rencontrer ou de favoriser des retrouvailles entre amis ou en famille. Quand on fait le tour des tables, on s’aperçoit que les bons souvenirs sont là. À chaque fois qu’on se voit, on évoque avec plaisir le passé, Tahiti et la commune d’antan”, confirme Anthony Jamet, maire de Taiarapu-Est, tout en ayant une pensée pour ceux qui sont partis.  

Frida Sandford, 65 ans, retraitée du service social de Taiarapu-Est :

“Ma maman a accouché à domicile, ce qui n’a pas été mon cas”

“J’ai commencé à l’état-civil de la mairie de Pueu en 1980, suite à un concours, puis au service social à la mairie de Taravao, lorsqu’il a été créé en 1995, à la demande du maire de l’époque, Tutaha Salmon.

Étant née en 1959, il y a eu beaucoup de changements à Taravao au niveau des infrastructures. Pour commencer, je suis née à Pueu. Ma maman a accouché à domicile, ce qui n’a pas été mon cas. Pour mon aîné, en 1977, il y avait une maternité à l’hôpital de Taravao. C’était un vrai progrès au niveau de la sécurité. Pareil en 1978, mais en 1995, j’ai dû aller à Papeete, car il n’y avait plus de maternité à Taravao. C’est bien dommage !

Aujourd’hui, nous avons le choix au niveau des supermarchés, une vraie salle de cinéma et de plus en plus de services. On voit aussi une évolution au niveau des agriculteurs et des pêcheurs, qui sont moins nombreux à aller au marché de Papeete le dimanche. Beaucoup restent à Taravao, peut-être parce qu’il y a plus de monde, donc suffisamment de clients sur place”.

You Fa “Ape” Soufet, 75 ans, commerçante de Taravao à retraite :

“Nous avons repris le magasin Ah Ky en 1969”

“Avec mon mari, Florent, qui a 82 ans, nous tenions le magasin Ah Ky dans le centre de Taravao. Ce sont mes beaux-parents qui avaient monté l’entreprise et nous avons pris la suite en 1969. La partie restaurant, réputée pour son ma’a Tinito, a été reprise par un autre frère. Je viens de Vairao, où mes parents tenaient le magasin Liki : ils vendaient beaucoup de produits locaux, ce que j’ai apporté à Taravao dans notre magasin. Avant, les magasins ambulants se faisaient en charrette tirée par un cheval : quand j’avais 12 ou 14 ans, avec ma grand-mère, on venait comme ça jusqu’à Taravao. C’était l’ancêtre du camion-pain.

Avant Carrefour, Champion et Super U, il n’y avait que des petits magasins familiaux comme le nôtre. Il y a aussi eu l’enseigne Mini Prix. Dans nos clients, nous avions des locaux sur plusieurs générations, mais aussi des professeurs et des militaires. Tout le monde connaissait tout le monde, comme dans un village. Nous avons fait perdurer la tradition des courses à crédit : chacun venait payer à la fin du mois. Doris a repris le magasin pendant trois ans, puis il a fermé en 2014 car nous ne pouvions pas concurrencer les grandes enseignes. Mon commerce me manque, mais je prends toujours autant de plaisir à croiser mes anciens clients, qui m’appellent Madame Ah Ky !”.

Odile Hargous, 72 ans, aide-soignante de l’hôpital de Taravao à la retraite :

“Le père de mes enfants tenait le restaurant Guilloux”

“Je suis originaire de Pirae, à Fataua, et je suis venue habiter à Faaone en 1978. J’ai fait 17 ans à l’hôpital de Mamao, puis 18 ans dans tous les services de l’hôpital de Taravao. En 1971, on fabriquait nous-mêmes les compresses. Au niveau du personnel, on était moins nombreux que maintenant proportionnellement au nombre de patients.

Le père de mes enfants, Gérard Guilloux, tenait un restaurant à Taravao, à l’époque, autour de 1984, en face de l’actuel magasin Champion. Quand j’étais de repos, je venais aider. On servait des plats français et chinois, comme du chao men ou du poulet citron. Il y avait du monde qui aimait venir manger. Le week-end, les Harley Davidson passaient, et ses amis du club de pêche en haute mer Taiarapu Fishing Club, dont il était le président. Ils organisaient des concours à Faratea.

Ce qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de voitures à Taravao. Ce qui me fait dire qu’il faudrait plus d’entretien au niveau des routes ! Je fais beaucoup de marche dans les vallées qui sont magnifiques. On est bien à la Presqu’île : ça reste calme“.

Tuahu Rochette, 72 ans, pêcheur de Tautira à la retraite :

“Je n’allais pas souvent à Taravao, car ça faisait loin pour nous”

“J’allais pêcher en bonitier jusqu’à Mehetia, Maiao, Tetiaroa. Je faisais toutes sortes de pêches, même sous-marine. Je vendais mon poisson à Taravao au niveau du magasin Taiarapu Nui, qui avant s’appelait Taravao Api. Avant, on revenait toujours avec du poisson du large ou du lagon. Aujourd’hui, c’est plus difficile, peut-être parce qu’on est trop nombreux ? Mais les gens aiment toujours autant le poisson ! C’est mon fils qui a pris la relève.

Je n’allais pas souvent à Taravao, car ça faisait loin pour nous. On avait notre propre cinéma à Tautira, un grand fare avec un étage pour installer le système de projection. On venait de temps en temps au village, mais on préférait rester au Fenua ‘Aihere, comme c’est encore le cas aujourd’hui. C’est pareil pour nos enfants : Taravao, c’est pour les courses ou le médecin, puis on rentre.

Le Fenua ‘Aihere n’a pas trop changé, même s’il y a quand même plus de passage, avec les bateaux et les jet-skis, et de confort qu’autrefois, avec l’électricité et le téléphone. Quand on n’avait pas encore de frigo, on se débrouillait avec des glacières qu’il fallait entretenir”.