
Maheamai Kokauani, professeure transgenre de français et de latin au collège-lycée catholique Anne-Marie Javouhey de Uturoa, faisait partie des invités à la dernière journée de la table ronde LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres), mercredi 8 novembre, qui sont intervenus au cours du panel de discussion intitulée “éducation et acceptation”, présenté par Éric Tournier, directeur général de la Direction générale de l’éducation et des enseignements de la Polynésie française (DGEE).
Née en Polynésie, originaire de Tahuata aux Marquises, Maheamai obtient son baccalauréat en littérature au lycée Paul Gauguin, avant de poursuivre une licence de lettres à l’Université de la Polynésie française. Un parcours scolaire semé d’embûches “financières et personnelles” qui l’ont néanmoins, motivé à réussir son master de lettres “haut la main“. À ce jour, elle effectue sa deuxième année d’enseignement au sein du lycée-collège Anne-Marie Javouhey. En l’attente de passer son certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire (CAPES), qui lui permettra d’être professeure titulaire, la jeune transgenre de 26 ans milite “pour montrer le contre-exemple des stéréotypes façonnés autour de la communauté transgenre“. Entretien.
Quel est ton parcours dans l’éducation ?
“Depuis près de trois ans, je suis enseignante de français et de latin en délégation annuelle (agents contractuels recrutés pour exercer des fonctions d’enseignement, d’éducation et de psychologue dans les établissements scolaires, Ndlr). J’ai débuté par six mois au collège de Papara, deux mois au lycée Don Bosco et, depuis 2021, j’enseigne au lycée-collège Anne-Marie Javouhey de Uturoa.”
Comment s’est déroulée ta première expérience en tant que professeure ?
“C’était mon premier stage avec des classes de 5ème, 3ème et 2nde. Je me mettais énormément la pression et j’avais beaucoup d’aprioris. Mais finalement, ça s’est bien déroulé, en particulier avec les collégiens. Le contact s’est établi de manière naturelle, ils n’avaient aucun problème à m’appeler madame. Les lycéens étaient plus réservés. Mais au cours du stage, j’ai compris que c’était parce que j’étais stagiaire et non parce que j’étais transgenre. Je pense que c’est le fait d’être polynésienne qui m’a permis de mieux m’intégrer au sein de la classe et de l’établissement.”
“C’est possible de faire le métier que l’on souhaite”
Pourquoi as-tu choisi ce métier ?
“Pour montrer le contre-exemple des stéréotypes façonnés autour de la communauté transgenre. Mais également pour être une source d’inspiration pour la jeunesse car, comme Monak (auteure du livre Le sang du corail, inspiré de l’histoire d’une personne transgenre issue des Tuamotu, Ndlr) l’a soulevé durant la conférence sur l’éducation : nous vivons dans une société qui devient de plus en plus cruelle. Et puis, internet n’arrange pas les choses. La méchanceté sur les réseaux sociaux est très virulente au point qu’elle peut pousser certaines personnes à se suicider. C’est ma manière de montrer à la jeunesse transgenre que c’est également possible de faire le métier que l’on souhaite. Les opportunités sont multiples. Il ne faut pas se limiter l’esprit mais plutôt l’élargir et voir le positif.”
As-tu été confrontée à des cas d’élèves qui reflétaient ton vécu à leur âge ?
“J’avais le cas d’une élève transgenre dont les résultats scolaires étaient excellents. Elle avait fait un arrêt dans sa scolarité car elle ne se sentait pas à sa place au sein de la classe. Sa mère, agent de service au lycée, l’a convaincu de poursuivre ses études, au moins jusqu’au baccalauréat, en prenant mon exemple. C’est l’une de mes motivations en exerçant ce métier, servir d’exemple aux plus jeunes.
Puis, j’ai eu l’occasion d’échanger avec elle à propos de son nom. Je lui ai expliqué que c’était légitime pour des personnes comme nous d’avoir un nom d’usage car elle n’était pas au courant. Je pense qu’il serait utile de signifier lors de l’inscription de l’élève son nom d’usage, s’il le souhaite. Cela évitera qu’il se sente mal à l’aise ou dénudé de son intégrité et de devoir se justifier devant toute la classe.”
“Affirmer sa féminité sans tomber dans la provocation”
Le lycée-collège Anne-Marie Javouhey (AMJ) est un établissement catholique, dont l’idéologie blâme le genre de personne que tu es. Comment s’est déroulée cette phase d’acceptation ?
“Tout simplement le fait d’être catholique et croyante. Lorsque tu es rejetée par l’autre, tu pressens une distance. Je ne l’ai pas ressenti avec ma directrice. Sur mes fiches d’emploi du temps, je suis désignée comme “madame”. En revanche, sur mes contrats de travail, fiches de paie et sur la plateforme numérique que nous utilisons, je reste au masculin. J’y travaille actuellement mais c’est difficile et la procédure prend du temps.”
C’est parfois difficile de se faire respecter par les élèves, en particulier lorsque l’on est différent. Quelle est ton expérience par rapport à cette notion de respect ?
“Tout a débuté lorsque que j’étais dans un foyer d’hébergement pour garçon, situé à la Mission. Je me suis toujours dis que si je respectais mes camarades, ils me respecteront également. Et jusqu’à présent, j’entretiens toujours des liens amicaux avec mes anciens voisins de chambres.
Je pense que les élèves me respectent parce que je les respecte également, c’est mutuel. L’exemple de la manière de s’habiller est très intéressant dans ce cas, parce que j’ai toujours prôné la neutralité dans la façon dont je me présentais au monde. Il faut affirmer sa féminité sans pour autant tomber dans la provocation. C’est aussi une forme de respect. Je suis actuellement professeure principale d’une classe entièrement masculine. Donc, je n’hésite pas à leur apprendre le respect et la tolérance. Je les informe également sur les éventuelles formes de discrimination.”
“Mes élèves sont plus tolérants que certains collègues”
Est-ce que les notions de respect et de tolérance font partie du programme actuel en français ?
“Oui, j’ai de la chance que le programme de français traite des sujets comme l’égalité des genres. Il aborde globalement la discrimination des minorités et l’écriture comme arme pour l’égalité. En revanche, la limitation du programme est contraignante. Mais, je comprend car il y a des choses que l’on ne peut pas toujours montrer.”
Quelles sont les difficultés que tu rencontres dans ton métier aujourd’hui ?
“Par rapport à mon expérience personnelle, l’une des difficultés est en rapport à certains de mes collègues de travail qui sont encore ignorants de la transidentité. Il ne faut pas se méprendre, certains décident de l’ignorer. C’est une manière de titiller et de causer chez l’autre un mal-être. Mes élèves sont plus tolérants que certains collègues.”
Table ronde LGBT – Un pas vers une société polynésienne plus inclusive

La table ronde LGBT s’est clôturée, jeudi 8 novembre, après le discours de l’initiatrice de l’évènement, Éliane Tevahitua, vice-présidente de la Polynésie française, qui a félicité les panélistes conviés à ce colloque. Durant deux jours, les différents intervenants ont discuté et partagé leur expérience autour des thématiques comme la santé, l’éducation, la dépénalisation de l’homosexualité ou encore la place des médias et de l’influence. L’opportunité de créer le dialogue et de mettre en lumière les réelles problèmes de la communauté LGBTQ+.
Éliane Tevahitua a parlé d’un colloque “magnifique” avec “beaucoup d’émotions” et “beaucoup de propositions constructives” sorties des différents panels de discussions notamment celui sur la religion au cours duquel les confessions religieuses ont fait des “déclarations qui sont les bienvenues”. Pour elle, le bilan est “très positif”. Elle espère que “ce type de réunions puisse perdurer”.
Selon Lalita, femme transgenre, le gouvernement doit se pencher sur le cas des “jeunes transgenres qui sont dans les rues et qui se prostituent. Il faut agir dès maintenant car il sera très difficile de les sortir de cette situation“, dit-elle.
Une problématique qui renforce celles évoquées durant ce colloque : “faut-il créer des toilettes mixtes ? Les personnes LGBT peuvent-elles devenir pasteurs ou diacres ? Comment accueillir les personnes transgenres au sein des foyers ou des internats scolaires ? Comment aborder ce sujet avec l’enfant ?“
Pour le moment, le gouvernement travaille sur la prise en charge du traitement hormonal de susbititution (THS) pour les personnes transgenres, ainsi que la prise en charge de la PreP (traitement médicamenteux qui empêche l’infection par le virus du sida, Ndlr), qui devront être prochainement mises en place.
“La société polynésienne est prête à devenir une société plus inclusive. Nous l’avons entendu avec tous ces intervenants et surtout de la part des différents représentants religieux. Il y a encore du travail à accomplir mais c’est une journée pleine d’espoir qui montre qu’un monde meilleur est en approche”, conclut Karel Luciani, président de l’association Cousins Cousines.