LSDengue et Arbogen : la recherche française mobilisée pour anticiper les dengues graves

Le projet LSDengue s’inscrit dans la stratégie nationale d'accélération "Maladies Infectieuses émergentes (MIE) et Menaces Nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC)" du volet Santé Innovation 2030 de France 2030. (Photo IRD)
Le projet LSDengue s’inscrit dans la stratégie nationale d'accélération "Maladies Infectieuses émergentes (MIE) et Menaces Nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC)" du volet Santé Innovation 2030 de France 2030. (Photo IRD)
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LSDengue pour “looking into severe dengue”, et Arbogen, “le suivi génomique des arbovirus“. La recherche française se mobilise et s’organise pour mieux comprendre la dengue, mieux l’anticiper et la soigner. L’agence nationale de recherche scientifique (ANRS) Maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE) est une unité autonome de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Elle organisait, ce jeudi 25 janvier au matin depuis Paris, une visioconférence sur la dengue, à laquelle a participé La Dépêche de Tahiti, parmi une vingtaine d’autres invités, scientifiques (comme les agents de l’Institut Malardé de Papeete par exemple) ou journalistes.



LSDengue repose sur l’analyse de données cliniques, génétiques, virologiques et immunologiques de personnes présentant une forme sévère de la dengue quel que soit le territoire ultra-marin où elles résident. Arbogen s’appuie quant à lui sur la collecte de génomes du virus de la dengue circulants dans l’aire de répartition des territoires ultra-marins et métropolitains français.

Ce projet “a pour objectif d’identifier les facteurs déterminants des formes sévères de la dengue pour définir des biomarqueurs utilisables en clinique et adapter les soins aux patients”.

Il prévoit une étude d’une ampleur sans précédent de caractérisation complète (clinique, génétique, virologique et immunologique) de centaines de patients aux origines génétiques diverses, recrutés sur une grande partie de l’aire géographique d’incidence de la dengue grâce à un vaste réseau dans les outremer. Il s’agit, selon les chercheurs, d’anticiper la progression de l’infection vers une dengue grave, d’améliorer la prise en charge des patients et de réduire le risque de mortalité lié à la dengue.

“Chaque année, le virus de la dengue provoque 390 millions d’infections et 3,9 milliards de personnes y sont aujourd’hui exposées” rappelle l’ANRS. “Apporter des réponses aux épidémies de dengue d’aujourd’hui et de demain est un enjeu fort pour l’ANRS Maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE), notamment au travers du projet LSDengue. Un enjeu auquel MSDAVENIR, le 1er fonds de dotation en France et en Europe dédié aux sciences du vivant, a également souhaité répondre en soutenant le projet Arbogen”.

La dengue sévit principalement dans les régions tropicales et subtropicales du monde entier. Outre-mer, la Martinique et la Guadeloupe sont actuellement touchées par une épidémie de dengue de type 22. De même, au fenua, un cas autochtone de dengue de type 2 a été confirmé début janvier 2024 à Mahina, laissant craindre une potentielle nouvelle vague épidémique sur l’île de Tahiti. Pour sa part, l’île de La Réunion, après le pic épidémique de 2021 lié au sérotype 1, semble connaître actuellement une accalmie.

“Comme l’a indiqué dès 2019 la collaboration multidisciplinaire internationale du Lancet, via son rapport sur la santé et le changement climatique, la dengue est favorisée par les évolutions récentes du climat depuis les années 2000” souligne l’ANRS. “En effet, neuf des dix années durant lesquelles le climat a été le plus favorable à la transmission de la dengue ont été relevées depuis 2000. De plus, l’édition 2023 du rapport du Lancet indique que la transmission de la dengue pourrait bondir de 36 % d’ici 2050”.

Deux projets innovants face à la dengue

La répartition géographique des équipes médicales et scientifiques françaises, de la Nouvelle-Calédonie à Marseille, en passant par la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Polynésie ou La Réunion, “est une véritable opportunité pour développer ces projets de recherche face à la dengue ou à d’autres zoonoses émergentes” explique l’ANRS. La France dispose d’experts de haut niveau et est “dans une situation exceptionnelle pour surveiller et étudier la dengue dans sa diversité génétique globale, mais aussi au sein d’environnements variés et de populations différentes”.

LSDengue, à la recherche de nouveaux biomarqueurs

La mortalité parmi les cas de dengue sévère reste faible (entre 0 et 2%), mais peut atteindre 10% en cas de retard de soins. La découverte de “nouveaux biomarqueurs permettant d’optimiser la prise en charge des patients” est donc jugée “nécessaire et urgente”.

Le projet LSDengue s’inscrit dans la stratégie nationale d’accélération “Maladies Infectieuses émergentes (MIE) et Menaces Nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC)” du volet Santé Innovation 2030 de France 2030, en bénéficiant d’un financement du programme et équipements prioritaires de recherche Maladies infectieuses émergentes (PEPR MIE). LSDengue a pour objectif d’identifier de nouveaux déterminants de la survenue de la dengue sévère, dont certains pourraient être utilisés pour optimiser la prise en charge des patients. S’appuyant sur la cohorte CARBO, ce projet permettra de mettre en place une étude de grande ampleur avec la caractérisation complète (clinique, génétique, virologique et immunologique) de centaines de patients ayant des antécédents génétiques divers, recrutés sur une grande partie de l’aire de répartition géographique du virus de la dengue.

• Arbogen, le suivi génomique des arbovirus

ARbogen est présenté comme étant est un projet “d’une ampleur sans précédent” en termes de moyens et de zone géographique étudiée. Il devrait permettre d’améliorer la connaissance de la diversité génétique du virus et de son impact sur la sévérité de la maladie. 5% des cas cliniques rapportés donneront lieu à un séquençage génomique dans ce cadre. “Il s’agit in fine de poser les bases permettant de contribuer à développer de nouveaux traitements, mais aussi de mieux prendre en charge la maladie au sens large en adaptant les traitements, la vaccination et les méthodes de diagnostic au profil génétique du virus circulant” explique l’ANRS qui espère à terme générer un large ensemble de génomes de la dengue, “inégalé en termes de taille, de qualité et de richesse, et qui sera le point de départ d’une étude approfondie des déterminants génétiques du virus impliqué dans la pathogenèse de la dengue sévère.”

La dengue identifiée dans plus de 20 pays européens

Aujourd’hui, les régions touchées par la dengue s’étendent progressivement, notamment en Europe. De fait Aedes albopictus, le moustique vecteur du virus de la dengue (DENV) en Europe, s’est installé dans plusieurs pays du sud de l’Europe et, au cours des dix dernières années, s’est déplacé vers le nord et l’ouest.

En 2023, cette espèce, qui a la capacité d’entrer en diapause hivernale, a été identifiée dans plus de 20 pays européens. Entre 2010 et 2023, 273 cas autochtones ont été enregistrés en Europe. En France métropolitaine, 2 cas de transmission locale ont été signalés pour la première fois en 2010, 65 cas de dengue autochtone ont été diagnostiqués en 2022.

L’an dernier et pour la première fois, un foyer de dengue autochtone regroupant 3 cas a été identifié en Île-de-France, montrant une progression des transmissions autochtones vers le Nord de l’hexagone.

Les zones de présence de la dengue dans le monde.

Réduire le risque de transmission locale de la dengue en France

Les moustiques du genre Aedes, surtout Aedes aegypti et Aedes albopictus sont vecteurs de la dengue. (Photo : archives LDT)
Les moustiques du genre Aedes, surtout Aedes aegypti et Aedes albopictus sont vecteurs de la dengue. (Photo : archives LDT)

Le risque d’épidémies locales de dengue augmente dans de nombreuses régions d’Europe en raison de l’urbanisation croissante et de la mondialisation. En outre, le réchauffement climatique augmente l’adéquation climatique en Europe pour Aedes albopictus, une espèce de moustique envahissante agissant comme vecteur du virus de la dengue.  En France, Aedes albopictus est déjà très répandu. En 2022, sa présence a été détectée dans la majorité des départements.

La dengue est une maladie obligatoire à déclaration obligatoire en France depuis 2006. Cela permet de surveiller le nombre de cas et d’événements épidémiques. Le nombre de transmissions autochtones de la dengue a augmenté depuis la première détection de cas autochtones en 2010, et a atteint un niveau record en 2022, ce qui soulève un problème de santé publique.

Afin de prévenir le risque de transmission de la dengue (ainsi que d’autres maladies transmises par Aedes albopictus, comme le chikungunya et le Zika), une surveillance renforcée est mise en œuvre dans les districts administratifs où Aedes albopictus est établi et lorsqu’il est actif (entre mai et novembre). Cela comprend des campagnes de sensibilisation sur le diagnostic et l’établissement de rapports à l’intention des professionnels de la santé au début de la saison des moustiques; le dépistage des cas suspects de dengue, ainsi que de chikungunya et de Zika; examen quotidien de la base de données des principales plates-formes de laboratoire pour la recherche active de cas; les enquêtes épidémiologiques effectuées pour chaque cas importé et autochtone; et des mesures de lutte contre les vecteurs mises en œuvre aux endroits où des cas se produisent.

(Source : plateforme européenne d’adaptation au changement climatique Climate-ADAPT)