Yann Wolff, directeur des exploitations Tahiti chez EDT Engie et directeur général de Marama Nui a répondu aux questions de La Dépêche relatives à l’impact des fortes chaleurs sur le principal fournisseur d’énergie électrique du fenua. Il confirme une hausse de la production et rappelle que la Polynésie française s’est assignée des objectifs de réduction de la consommation qu’elle est encore bien loin d’atteindre… Entretien.
• Quel est l’impact des fortes températures sur l’activité de production de EDT-Engie ?
Il y a un lien direct entre la chaleur et la consommation électrique, notamment pour tout ce qui concerne les chambres froides. A chaque degré supplémentaire, c’est de l’ordre de +1% à +2% de consommation supplémentaire. Cette année par exemple, on est à peu près à +2°C ou +3°C par rapport à l’année précédente. On est plus sur des pointes de l’ordre de 85 à 90 mégawatts (MW) plutôt que 80 ou 85 MW. Historiquement, il y a 10 ou 15 ans, nous avions des pointes bien supérieures, avant le développement de l’énergie solaire des particuliers. Jeudi 1er février en matinée, on était à 87 MW avec 46% de thermique, 28% d’hydroélectrique et 26% de solaire. C’est-à-dire qu’on a l’équivalent de deux groupes de la Punaruu en solaire.
• Comment évaluer le poids de la climatisation dans la consommation électrique ? Aux Etats-Unis c’est 6% de la consommation totale, c’est forcément bien supérieur au fenua…
C’est en effet difficile à estimer mais je pense qu’on doit être plutôt sur du 15% à 20%. Certains clients vont être très impactés par les hausses de température, d’autres beaucoup moins. L’exemple-type, c’est le professionnel qui stocke des denrées périssables dans des chambres froides, il est très affecté par la hausse des températures ambiantes. A l’inverse, la facture d’éclairage public d’une commune reste insensible à la chaleur. Ce qui est certain, c’est que la climatisation peut peser très très lourd dans une facture électrique, a fortiori si c’est mal géré. Il faut savoir qu’un Inverter moderne est beaucoup plus sobre qu’une clim’ des années 90, ça peut aller du simple au double.
Dans les bureaux, la clim’ peut représenter plus de 50% de la facture !
(Source : observatoire de l’Energie)
• La société EDT s’applique-t-elle à elle-même ces principes d’économie d’énergie ?
Oui, par exemple l’an passé, EDT a modernisé son bâtiment de Punaruu et a échangé 93 clims individuelles par un système centralisé. Résultat : une baisse de 40% de la facture électrique ! Des fois, je vois des choses qui me font un peu bondir ! Je pense à ces magasins climatisés qui laissent leur porte ouverte sur l’extérieur. Je pense aussi à ces endroits où l’excès de clim’ rend finalement l’endroit désagréable. Il y a des endroits… où j’ai froid ! C’est du gaspillage, et en plus c’est une énergie carbonée, en clair c’est du gazole pur.
• Les importants épisodes pluvieux de ces dernières semaines ont-ils permis un maximum d’hydroélectricité dans le mix de production ?
Oui, les chiffres vont tomber mais on s’attend à quasiment 60% d’énergies renouvelables, avec un mois de janvier important mais qui n’est pas un mois record. Nous avons une croissance soutenue de l’énergie solaire depuis ces dernières années. Il y a trois fermes solaires en cours de fabrication, une du groupe Siu, une du groupe Moux et une du groupe Engie. Aucune n’est encore raccordée au réseau. Ces trois projets apporteront +7% d’énergie renouvelable. Une deuxième tranche identique avait été lancée mais elle a été annulée en fin d’année dernière, c’est regrettable, on va perdre 7 points qui nous auraient été utiles rapidement. Pour atteindre 50% de renouvelable en 2030, il va falloir s’y mettre sérieusement.
• Plus encore que l’augmentation des énergies renouvelables, EDT insiste surtout sur la maîtrise de la consommation…
Dans les plans climat/énergie, il est prévu que l’on baisse notre consommation de 20%, et là, la route est encore longue… Nous sommes globalement stabilisés depuis des années, mais en fait ça veut dire qu’au augmente et que c’est le solaire qui prend le différentiel. Des réglementations ont été adoptées concernant les bâtiments neufs, et c’est bien, mais ça va mettre des décennies à porter ses fruits. Je pense qu’il faut vraiment qu’on arrive à développer de nouveaux réflexes. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous avons convenu de travailler avec l’Université et sa nouvelle licence.
• Quelles sont les pistes de réflexion ?
Nous allons travailler sur tous les flux thermiques, la climatisation, les chauffe-eaux, les fontaines à eau, etc. Par exemple, faut-il éteindre son chauffe-eau électrique quand on dort ou pas ? La fontaine à eau qui fonctionne tout le week-end dans les entreprises, ça n’a aucun sens car il n’y a personne… Donc, étudier toutes les économies qui ne supposent pas d’investissement… Il faut qu’on apprenne à consommer moins, ou en tout cas à consommer mieux. Il y a 20 ans en arrière, nous n’avions que l’approche économique pour sensibiliser les gens, maintenant c’est la dimension environnementale qui prime. Si on veut que la Terre reste vivable, il faut faire des efforts qui, en plus, n’altèrent pas notre mode de vie. Il n’y a pas que la manière d’utiliser la clim’, il y a également des sources d’économies énergétiques à réaliser dans bien d’autres domaines.
Propos recueillis par Damien Grivois