Alerte à la consommation massive et précoce du porno par les mineurs

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Près d’un tiers des moins de 18 ans utilisant internet consultent chaque mois au moins un site porno, principalement sur leur smartphone, selon une étude publiée fin mai: des données “effrayantes” qui montrent l’urgence d’agir pour mieux protéger les mineurs, soulignent plusieurs associations.

Quelque 2,3 millions de mineurs visionnent en moyenne plus de 50 minutes de contenu pornographique chaque mois. Les trois quarts utilisent exclusivement leur téléphone, donc hors du regard parental, selon cette étude Mediamétrie réalisée en 2022 auprès de 25.000 panélistes et commandée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Le phénomène s’aggrave et “ces mineurs sont encore plus jeunes que ce qu’on pensait”, alerte auprès de l’AFP Laurence Pécaut-Rivolier, de l’Arcom: 21% des garçons de 10-11 ans regardent des sites porno chaque mois et 51% des garçons de 12-13 ans (mais 31% des filles du même âge).

Ces “chiffres effrayants” montrent “l’urgence à agir”, a réagi dans un communiqué le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, car les contenus porno font “le lit d’une société qui banalise la violence envers les femmes et participent à la hausse des violences sexistes et sexuelles”.

“Qu’attendons-nous pour nous attaquer à ce problème de santé publique ?”, a demandé de son côté l’association Osez le féminisme! “Nous exigeons que le gouvernement fasse enfin appliquer la loi”, a-t-elle ajouté.

Le gouvernement a justement présenté le 10 mai un projet de loi visant à “sécuriser et réguler” internet. Ce texte confie à l’Arcom le pouvoir de bloquer et déréférencer les sites porno qui ne respectent pas la loi.

“Déconstruire les images”

Car si les sites sont en principe tenus de réserver leur accès aux seuls adultes, dans les faits, la plupart se contentent de demander aux internautes de cliquer sur une case pour certifier qu’ils ont plus de 18 ans.

Saisie par des associations, l’Arcom a mis en demeure 15 sites pour qu’ils instaurent un vrai contrôle d’âge et a saisi la justice pour obtenir le blocage de sept d’entre eux, dont la plateforme Pornhub, la plus consultée par des mineurs selon l’étude.

Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer sur ce dossier le 7 juillet.

Lors d’une audience en avril, les gérants des sites ont refusé de mettre en place une vérification d’âge car ils jugent la loi insuffisamment claire sur les modalités techniques attendues.

Un argument invalide selon Grégory Dorcel, directeur général du groupe français de production de films pour adultes du même nom. “Certaines entreprises de notre industrie ne sont pas responsables et se sont affranchies de la loi française”, a-t-il réagi auprès de l’AFP.

“Des dispositifs (de vérification d’âge) existent mais, quand votre business est de monétiser l’audience, vous avez intérêt à ce qu’elle reste la plus large possible, mineurs confondus“, a-t-il ajouté.

L’une des solutions consisterait à créer un système de vérification dit de “double anonymat”, par lequel l’internaute donnerait son identité à un “tiers de confiance”, explique à l’AFP Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open).

Ce dispositif débloquerait ensuite l’accès aux contenus sans pour autant transmettre de données personnelles aux sites pornographiques. “Cela peut être complexe à mettre en œuvre mais, en attendant, soyons pragmatiques: on peut imposer aux sites de demander la carte bancaire de l’utilisateur”, suggère M. Rohmer.

Cette question, a-t-il observé, relève aussi de la responsabilité des parents, qui doivent s’intéresser de près à ce que font leurs enfants sur internet et aider les adolescents à “déconstruire les images” visionnées.

Quant aux enfants plus jeunes, qui “sortent de l’école primaire”, ils “n’ont pas la maturité pour voir ces images, conçues pour des adultes”, souligne le psychologue Samuel Comblez, de l’association e-Enfance, qui gère la ligne d’écoute 3018 sur les violences et les usages numériques.

“Certains sites montrent des images scatophiles, zoophiles, font la promotion de l’inceste, des images agressives vis-à-vis des femmes. Et tout cela est aujourd’hui accessible en trois clics”, déplore ce spécialiste.

Sur la ligne 3018, “on a des jeunes qui nous appellent pour nous signifier qu’ils ont été perturbés” et qui “se taisent”, car il leur est “difficile de dire à leurs parents qu’ils sont allés voir des sites pornographiques”.

AFP