Football – Stéphanie Spielmann : “Nous avons dépassé la barre des 2 000 licenciées” 

(Photo : DR)
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Le football féminin sera à l’honneur à partir du 20 juillet avec le Mondial 2023 organisé en Australie et en Nouvelle-Zélande. L’occasion pour La Dépêche de Tahiti de rencontrer Stéphanie Spielmann, chargée depuis 2016 de développer le football féminin en Polynésie et récemment nommée à l’OFC (Oceania Football Confederation) pour une mission similaire mais cette fois au bénéfice de 11 pays d’Océanie. 

A travers le foot, c’est la condition féminine que Stéphanie défend. Elle est fière des missions accomplies en Polynésie et plus particulièrement en faveur des filles des îles. 

Tu achèves une mission de 5 ans exclusivement auprès de la Fédération tahitienne de football. La fédé a t-elle toujours la volonté de développer le football féminin ? 

“Oui bien sûr car c’est aussi la volonté de la Fifa. Le train est en marche, il faut juste ne pas se relâcher. Le football féminin, c’est un combat quotidien… comme la condition féminine. Maintenant, nous allons surfer sur ce qui a été mis en place mais c’est très fragile. Nous avons effectué un premier cycle de 5 ans, il faut établir un nouveau cycle. Il s’agit de solidifier.” 

Quel était le contexte à ton arrivée ? 

“Avant, il y avait uniquement des compétitions puis, en 2011 tout s’est arrêté. Un championnat a été relancé en 2015 mais il n’était pas vraiment rattaché à des clubs, c’était plutôt une compétition entre communes. 

Je suis arrivée à la fédération en 2016 après deux années à Tefana. Nous avons mis en place une stratégie de développement sur 5 ans avec trois piliers : développement de la masse (plus de jeunes femmes qui jouent au football), la féminisation dans les instances (communication, marketing, formations), faire en sorte d’avoir un cadre plus professionnel dans les sélections avec notamment des équipements adaptés pour les filles, des médailles à l’effigie de femmes etc. Ce sont des détails mais qui sont très importants.”

Des championnats dans les îles

Quel sont les constats au bout de 5 ans ? 

“Honnêtement, nous avons avancé au-delà de nos espérances. Nous avons passé la barre des 2 000 licenciées féminines. Cela représente 23 % du total des licenciés. C’est un chiffre très bon sur le plan mondial. La bascule s’est faite grâce au football jeunes c’est-à-dire les licences entre 5 et 16 ans et le développement dans les îles. 

Les choses pour lesquelles je suis vraiment fière, c’est 

  • La mise en place de championnats féminins dans différentes îles notamment aux Marquises ; ce n’était pas évident mais nous avons réussi à le faire. Cela me tenait vraiment à cœur.
  • La deuxième chose, c’est que nous avons envoyé les deux premières polynésiennes – dont Kiani Wong qui joue actuellement au RC Lens en deuxième division national – jouer en France ; cela a été une locomotive pour la suite et pour les autres filles. Nous avons aussi actuellement Hinavainui Malfatti, partie aux Fidji avec les moins de 19 ans. C’est une des meilleures joueuses de sa génération.
  • Et il y a eu bien sûr un gros travail sur l’élite. Il fallait remonter toute la sélection nationale. Pour créer les sélections moins de 16 ans et moins de 19 ans, il a fallu aller chercher les joueuses, développer un cadre de sélection cohérent avec des staffs impliqués, des joueuses qui comprennent l’importance de porter le maillot de l’équipe nationale, développer l’esprit de compétition chez des jeunes filles… Et nous avons aujourd’hui trois équipes nationales : moins 16 ans, moins de 19 ans et les séniors. Les U19 sont actuellement à Fidji.” 

On constate tout de même un manque de visibilité pour les femmes ?

“Il y a encore des choses à faire mais je pense que la stratégie a été bonne. La communication et le marketing est un gros combat. Nous sommes fières de dire que Fare Rata est aujourd’hui un partenaire officiel du football féminin !”

“De belles histoires”

Que peut-on dire des championnats féminins en Polynésie ? 

“Nous avons des U11, U14 U17 et séniors. On va dire qu’il y a le même escalier que chez les hommes mais avec moins de marches. Et ce n’est pas seulement à Tahiti que les choses se passent, il y a désormais un championnat féminin à Raiatea, à Taha’a, à Huahine, à Moorea et aux Marquises Nord, au Marquises Sud… Se dire qu’une équipe féminine s’est formée à Ua Huka et va jouer sur Nuku Hiva, c’est magnifique, ça crée de belles histoires.”

Comment cela a t-il été possible ? 

“C’était important de créer une stratégie en fonction des spécificités de chaque île. Par exemple, aux Marquises, nous avons organisé, avec l’appui de la Fifa, un séminaire d’une semaine à Nuku Hiva avec les représentants des différentes îles. En fonction des actions mises en place à la suite de ce rassemblement, nous avons distribué du matériel, des maillots etc. Cela a été un moteur pour les clubs.”

Quel est le secret pour qu’un club se développe ? 

“Je dis toujours qu’un objectif sans plan ne reste qu’un souhait. Le secret est de prendre du recul au sein du club, d’avoir des objectifs, de planifier et d’aller chercher de l’argent s’il en manque… C’est une stratégie sur du long terme.” 

“Une super Coupe du monde”

Quel est l’impact d’une Coupe du monde ?

“En 2019, on a provoqué l’impact. Au niveau de la fédé, nous avons fait en sorte que les filles connaissent les top joueuses en dehors des références masculines comme Messi ou Ronaldo. C’est important qu’elles s’identifient à des joueuses féminines. On a distribué des flyers, organisé des quizz… 

Pour ce Mondial 2023, l’OFC a demandé aux fédérations de mettre en place des actions car la Fifa prend en charge la diffusion des matchs. Nous souhaiterions par exemple des écrans géants mais pour le moment rien n’est prévu à ce niveau là par la fédé tahitienne. C’est dommage car je suis sure que cela fonctionnerait.”

Une célébration s’est déroulée le 25 juin à Sydney
en Australie pour fêter la
prochaine Coupe du monde féminine
(Photo : Saeed KHAN / AFP)

Comment s’annonce cette Coupe du monde et quel est ton pronostic ? 

“Cela va être une super Coupe de monde, les standards sont enfin les mêmes que ceux des hommes : voyages en classe business, hôtels prestigieux, camp de base, sponsors etc. 

Mon pronostic ? Je vais dire Angleterre, Allemagne, Brésil, Etats-Unis pour le dernier carré. Les françaises devraient sortir de leur groupe mais cela va dépendre ensuite de l’équipe sur laquelle elles vont tomber. Nous avons une bonne équipe mais la France araté le coche après la dernière Coupe du monde et un nouveau sélectionneur deux mois avant, ce n’est pas le top.”

Quelles sont les chances dans l’avenir pour les filles d’Océanie ?

“Il y a une opportunité dans l’avenir. Sur les 32 équipes en Coupe du monde, 4 sont qualifiées via un tournoi particulier : lors des qualifications par confédération, la Nouvelle-Zélande a été sélectionnée en Océanie. L’équipe qui est arrivée en 2e position, en l’occurence la Papouasie Nouvelle-Guinée, a joué avec les 2e des autres confédérations. Ce sont 8 équipes qui s’affrontent. Les 4 meilleures de ce tournoi sont qualifiées pour la Coupe du monde. C’est donc une ouverture.”

Stéphanie Spielmann se rendra au match d’ouverture à Sydney le 20 juillet

Propos recueillis par Sandrine Guyonnet

Le parcours de Stéphanie Spielmann en bref

Elle a joué et entrainé au FC Vendenheim en Alsace. Titulaire de la licence A UEFA, elle est devenue cadre technique en charge du football féminin à la Fédération tahitienne de football. Depuis novembre 2022, elle est rattachée à l’Océania football confédération (OFC) et travaille pour développer le football féminin dans 11 pays du Pacifique. 

En 2019, elle a été intégrée dans un programme de la Fifa auprès de la sélection nationale belge afin de se former au haut niveau. La Fifa lui a ensuite proposé un contrat pour développer des programmes visant à développer le football féminin et destinés à être mis en place dans le monde entier. A ce jour, elle travaille avec la Fifa et avec l’OFC. 

“Comme je suis basée à Tahiti, j’ai toujours une proximité avec la fédé tahitienne mais il y a beaucoup de choses à faire pour le statut des femmes dans certains pays d’Océanie ; le football peut changer les choses, c’est ce qui m’anime” dit-elle.