Darmanin préfère “l’attitude constructive” de Brotherson aux “insultes” de Temaru

Pour Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, "il faut d'abord bien exercer les compétences actuelles et les financer avant de penser à d'autres compétences". (Photo : SB/LDT)
Pour Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, "il faut d'abord bien exercer les compétences actuelles et les financer avant de penser à d'autres compétences". (Photo : SB/LDT)
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Gérald Darmanin est reparti vers Paris, après quatre jours au pas de course entre Tahiti, Moorea, les îles Marquises et les Tuamotu. Ce samedi 19 août, avant de rentrer de Kaukura, où il a inauguré un abri de survie qui accueille également l’école, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer a accordé un entretien à la presse écrite et radio. Réformes institutionnelles, diplomatie, sécurité, enjeux de la zone Indopacifique en Polynésie française sans oublier l’ONU, le statut des Marquises ainsi que les propos d’Oscar Temaru tenus à son encontre, sont autant de point sur lesquels il a accepté de revenir. 

Après 24 heures passées à Nuku Hiva et Hiva Oa, Gérald Darmanin, est interrogé sur le souhait profond des Hakaiki des Marquises de voir se créer une communauté d’archipel afin d’obtenir plus de compétences, notamment dans les secteurs du tourisme, du foncier ou encore du secteur primaire

“Ils vivent une double insularité. Ils sont éloignés d’un centre qui est Papeete qui se sent parfois éloigné du centre qui est Paris. La critique, que j’ai entendue des maires, était contre le pouvoir central de Papeete, et finalement demandait la décentralisation dans l’autonomie.

“Il faut rééquilibrer les crédits”

Peut-être que l’un des problèmes de l’autonomie c’est que les choses se sont concentrées à Papeete. Ça, c’est un sujet sur lequel on doit dire au gouvernement de la Polynésie française, attention, il faut rééquilibrer les crédits, que la République française donne, vers les îles les plus éloignées dont les Marquises, mais ça peut être le cas aux Gambier aussi par exemple, et dire au Haut-commissaire, je sais qu’il le fait, d’être plus présent aux Marquises.” 

“D’un point de vue culturel, il y a ce dossier de l’UNESCO, qui est très important et qui montre que la Polynésie française brille aussi par les Marquises. Et puis il y a la question institutionnelle. La difficulté, c’est que les communes en Polynésie, par manque de recettes fiscales propres, ont du mal à vivre indépendamment du Pays ou de l’Etat français. La communauté de communes des îles Marquises (CODIM) n’a que deux compétences. Je leur ai dit de peut-être augmenter, dans un premier temps, les compétences de cette communauté avant de passer à autre chose.”

“Pas évident d’avoir deux régimes d’autonomie”

“L’autre chose, c’est quoi ? Soit l’utilisation de l’article 74 de la constitution, qui permet d’avoir une collectivité à part.…on est prêt à tout étudier mais c’est vrai que pour le gouvernement de Polynésie française, ce n’est pas évident d’avoir deux régimes d’autonomie dans un espace aussi grand qui mériterait, peut-être, une meilleure solidarité entre ces îles et pas des îles séparées.”

“Soit d’avoir une province comme il existe en Calédonie. On est prêt à tout étudier mais cela doit se faire en commun, entre les Marquises et le gouvernement de la Polynésie française. J’ai compris qu’il y avait un groupe de travail qui avait été mis en place par le président Brotherson. On a eu un long échange sur le sujet. Je recevrai les maires des Marquises et le président Brotherson quand ils viendront au congrès des maires en novembre, pour proposer au président Macron des évolutions.”

En début d’année, l’hebdomadaire Le Point organisait un colloque sur les Outre-mer durant lequel Gérald Darmanin déclarait que les questions institutionnelles n’intéressent que les élus et non la population. Son positionnement reste-t-il le même sur le dossier des Marquises ?  

“Ce que veulent les gens, ce n’est pas une institution différente, ils veulent de l’efficacité. Ce qu’il faut, c’est savoir pourquoi on veut un changement institutionnel, pas pour des raisons de guéguerres entre territoires. Ce qui m’intéresse, c’est, s’il faut changer institutionnellement des choses pour être plus efficace pour les gens, on le fait.”

“Si c’est juste pour avoir son propre statut,
cela ne m’intéresse pas”

“Mais si c’est juste pour avoir son propre statut, cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir avec le président Brotherson, avec les communes des Marquises, une position commune pour voir comment on améliore les choses. La proposition faite par l’Etat, c’est d’abord peut-être, de donner plus de pouvoir à cette communauté de communes. Renforcer peut-être la communauté de communes, que l’Etat soit plus présent, que le Pays soit plus présent.” 

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer s’exprime ensuite sur l’envie du Pays de “prendre le train” des réformes calédoniennes pour obtenir des changements institutionnels : 

“Il appartient au président de la République française d’engager des réformes institutionnelles. Je dis au gouvernement de Polynésie française que, là où ils ont des compétences à 100%, comme la culture, agriculture, économie, il n’y a pas une compétence du territoire où l’Etat français ne met pas de l’argent. Même dans les compétences qui relèvent de l’autonomie, le Pays a besoin de l’Etat français pour financer ces compétences.

“Il y a encore du travail avant de demander
d’autres compétences”

J’ai envie de dire aux élus qui sont en situation d’autonomie qu’il faut d’abord bien exercer ces compétences actuelles et les financer avant de penser à d’autres compétences. Sinon, qu’est-ce qu’il se passe ? On n’est pas capable de financer les nouvelles compétences qu’on aurait. Qui serait impacté par cela ? Les habitants. Si on reprend le secteur de l’agriculture : quand on ne finance que 35% de sa propre alimentation alors qu’on a des terres, des agriculteurs, on se dit qu’il y a encore du travail avant de demander d’autres compétences.”

Alors que Moetai Brotherson est ouvert à la discussion, le président du Tavini , Oscar Temaru, a dit qu’il n’avait aucune leçon à recevoir de qui que ce soit et que si les parents ou les grand-parents du ministre de l’Intérieur avaient pensé comme lui, la France serait aujourd’hui allemande. Gérald Darmanin réagit à ces propos : 

“C’est insultant. Je n’ai pas de leçon de colonialisme à recevoir. Mes deux grands-pères étaient de l’autre côté de la Méditerranée. Ils vivaient en Algérie coloniale et un de mes grands-pères était Harki. Monsieur Temaru se trompe de ministre et de guerre. Cela doit faire longtemps qu’il ne suit plus la politique française et il s’est trompé d’interlocuteur. Je ne suis pas là pour régler les guerres dans le Tavini. Manifestement, ils sont très divisés entre eux.

“J’invite monsieur Temaru à se remettre à la page”

Chacun le sait. C’est marquant la division qu’il y a entre Moetai Brotherson, que je respecte, qui est élu par les habitants, avec qui j’entretiens de très bonnes relations, c’était déjà le cas quand il était parlementaire, et monsieur Temaru. Ce dernier n’a pas demandé à me rencontrer, ce qui est dommage. J’ai rencontré monsieur Fritch. J’invite monsieur Temaru à se remettre à la page et à venir me voir à Paris s’il le souhaite ou à me rencontrer quand je reviendrai en Polynésie française.”

Celui qui occupe l’hôtel de Beauvau est ensuite questionné sur deux fléaux qui frappent le fenua, les violences intrafamiliales et la drogue. Et plus précisément sur les actions supplémentaires que devrait prendre le Pays en matière de prévention et de sensibilisation alors que l’Etat est venu renforcer la lutte contre les drogues en Polynésie avec la création d’une antenne de l’office antistupéfiants (OFAST) ou encore renforcer la lutte contre les violences intrafamiliales avec l’annonce de la création d’une brigade dédiée à Tahiti.  

 “Tout le monde peut faire des efforts. Déjà en termes de sécurité routière, qui est une compétence stricte du gouvernement de Polynésie française. On les encourage à continuer cette sensibilisation. Et puis il y a bien sûr des sensibilisations sur l’utilisation des drogues. C’est une compétence régalienne de l’Etat. On doit mettre davantage de moyens. Ce qu’on a fait et qu’on a continué à faire.

“On voit bien qu’il y a ici une offre démocratique”

La jeunesse polynésienne ne peut pas avoir comme offre la drogue, comme l’ice ou le cannabis. C’est pour cela qu’il y a une vingtaine de gendarmes supplémentaires, qu’on a renforcé l’OFAST et c’est pour cela qu’on continue à travailler avec la Nouvelle-Zélande et l’Amérique du sud car on voit que la Polynésie est sur la route. Je me rendrai prochainement en Amérique du sud voir comment on peut mieux travailler avec les pays qui la composent et faire plus d’actions de police.”

Lors de l’inauguration de l’abri de survie à Kaukura, Gérald Darmanin a fait référence à des pays de la zone Pacifique n’ayant pas les mêmes valeurs démocratiques qu’en Polynésie française et donc en France. Pourquoi avoir abordé ce sujet à Kaukura, aux Tuamotu, lors de l’inauguration d’un abri de survie accueillant aussi l’école républicaine ? Il répond : 

“On voit bien qu’il y a ici une offre démocratique : l’égalité entre les femmes et les hommes, des élections libres, trois députés polynésiens indépendantistes élus, des communes gérées par des indépendantistes. La France permet cette démocratie. Et puis il y a d’autres puissances, on les connait, elles sont en Asie et sont moins regardantes sur les valeurs démocratiques et veulent rendre sous dépendance des territoires du Pacifique.

“J’encourage chacun à voir ce qu’apporte la France”

La France permet à la Polynésie française de ne pas vivre dans cette dépendance économique, militaire ou diplomatique de puissances asiatiques qui ne sont pas des démocraties. Je dis à ceux qui ont parfois l’idée de l’indépendance : s’ils devaient être indépendants, qui viendrait puisqu’ils ne peuvent pas financer leur développement économique ? Qui viendrait être une sorte de prédateur, comme on le voit par exemple autour des îles en Nouvelle-Calédonie ? Ce serait une autre forme de colonialisme, celle que justement veut rejeter une partie de la classe politique indépendantiste. J’encourage chacun à voir ce qu’apporte la France.”

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer s’exprime ensuite sur la potentielle présence de la France à l’ONU, en octobre prochain, et sur les discussions qu’il a pu avoir sur le sujet avec Moetai Brotherson. 

“Je suis très à l’écoute du président Brotherson. Je suis allé à l’ONU pour défendre la position de la France sur le dossier calédonien au comité des 24. Quand je rentrerai, j’aurai un rendez-vous mardi avec le président de la République. J’ai dit à Moetai Brotherson que j’en parlerai avec Emmanuel Macron, pour connaître la position de la France lors du C24 en octobre prochain. Et je me rendrai, le chef de l’Etat le souhaite, à New-York. Non pas pour négocier car on n’a pas à négocier avec une organisation internationale, mais pour montrer tout ce que fait la France.”  

“On respecte la langue polynésienne, la culture polynésienne, l’éducation à la polynésienne”

Encore une fois, comme en Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes sont en responsabilités politiques, ils ont des organes d’expression. Il n’y a plus d’action d’autorité contre une population qu’on respecte profondément. On respecte la langue polynésienne, la culture polynésienne, l’éducation à la polynésienne. On verra ce que dit le président Macron.”  

Ce n’est pas un tabou, c’est ce que j’ai dit à Moetai Brotherson. Je salue d’ailleurs la démarche constructive de ce dernier plutôt que les insultes d’Oscar Temaru. Les insultes du président du Tavini n’ont pas permis à la France de discuter de cela. Je constate que la diplomatie douce de monsieur Brotherson, avec l’Etat français, permet d’en parler calmement et c’est une bonne chose pour les Polynésiens.”

Gérald Darmanin est ensuite interpellé sur les initiatives diplomatiques prises par le président du Pays avec les pays voisins du Pacifique alors que, très souvent, ce genre d’initiative passe mal à Paris. 

“C’est une erreur de de la part de ceux qui, à Paris, voient la Polynésie française de loin. Je pense qu’il est normal que les représentants de la Polynésie française, comme de la Nouvelle-Calédonie, quelque-soit leur bord politique, puissent, dans leur environnement régional, le Pacifique, avoir des relations avec leurs Etats frères, sans avoir à demander l’avis à la diplomatie française. Qu’ils informent la France, c’est normal et classique, mais là je vois qu’il y a sans doute des évolutions à donner.”

Annoncer de bonnes choses pour le renforcement
de la présence militaire en Polynésie

“J’ai fait une proposition pour que la Nouvelle-Calédonie puisse avoir ces évolutions. Que le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie puisse signer des accords commerciaux, culturels, sans passer par la diplomatie française, mais en l’informant. En gardant pour la diplomatie française les accords militaires et stratégiques. Je pense qu’il faut faire pareil pour la Polynésie. Et le président Macron a montré la voie en emmenant avec lui messieurs Brotherson et Mapou au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce n’est pas Paris qui peut savoir ce qui est bien avec les Fidji ou le Vanuatu.”

Pour terminer, le Ministre est interrogé sur les enjeux de la zone Indopacifique. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé un renforcement de la présence militaire française en Nouvelle-Calédonie, Gérald Darmanin répond à la question suivante : faut-il s’attendre au même scénario dans les eaux polynésiennes ? 

“Il y a une loi de programmation militaire très ambitieuse qui a été votée. J’ai lu le travail de Sébastien Lecornu, ministre des Armées. J’aurai sans doute l’occasion de revenir avec ce dernier, comme on l’a fait en Nouvelle-Calédonie, pour qu’il puisse annoncer de bonnes choses pour le renforcement de la présence militaire en Polynésie. Pour protéger les eaux territoriales mais aussi simplement la France et ses valeurs. Et par ailleurs, le régiment du Service militaire adapté (RSMA), qui dépend du budget du ministère des Outre-Mer, sera lui aussi renforcé. Avec Sébastien Lecornu, nous aurons l’occasion de revenir et d’en parler.”