Centre hospitalier : un an après la grève, un personnel toujours sous perfusion

La commission médicale d'établissement (CME) s'est réunie aujourd'hui afin de chercher des pistes financières face à un budget en grave déséquilibre. Le président Fritch a évoqué une "dotation exceptionnelle" du Pays.
Pour les personnels soignants rencontrés, la situation ne pourra pas s’améliorer sans changer les statuts du personnel et le statut de l’hôpital, et sans trouver les financements pour répondre aux besoins médicaux en progression constante.(Archives LDT)
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Un an après la grève, le personnel de Taaone se déclare toujours sous tension. (Photo archives LDT)

Le 19 janvier 2023, le personnel du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) entrait en grève. L’intersyndicale, à l’origine du mouvement, s’élevait contre la non prise en considération, dans le budget 2023 de l’hôpital, de l’augmentation de l’activité hospitalière et des importants besoins en recrutement pour faire face à celle-ci. Selon les syndicats, afin d’assurer des soins humanisés, de qualité et pérennes, un minimum de 137 professionnels de santé devaient être recrutés. Près d’un an après, la situation reste critique.

Pour calmer la grogne et faire cesser le mouvement, le gouvernement de l’époque avait alors “lâché” une enveloppe de 400 millions de francs de rallonge. Cet argent devait servir à recruter du personnel. Le “hic” : cet argent n’était finalement destiné qu’à l’établissement de contrats uniquement pour l’année 2023, sans qu’il ne soit prévu de pouvoir utiliser les reliquats sur les années suivantes. Quid alors de la pérennité des soins et du nouveau manque en ressources humaines pour l’année 2024 ?

59,43 % de turn-over en 2022 contre 47,03 % en 2020

En plus des postes supplémentaires nécessaires, le CHPF connaît un turn-over important, indiquent les professionnels de santé de l’hôpital que La Dépêche de Tahiti a rencontré. Ils précisent qu’en 2022, pour le personnel médical, le turn-over a été de 59,43 % contre 47,03 % en 2020.

Le personnel de soins, en 2022, représentait 66,92 % des effectifs non médicaux, contre 69,74 % en 2020 (70 % en France). Les médecins, eux ne représentent que 10 % de la totalité des effectifs. Six praticiens polynésiens ont d’ailleurs quitté le CHPF durant l’année 2023. En France, le turn-over est, selon les informations recueillies, de 14,7 %.

Les praticiens et personnes rencontrés expliquent également que, sur les 400 millions de francs, qui ont bien été reçus, seule une partie a finalement pu être utilisée. La raison, selon les professionnels de santé : une administration et des processus de recrutement trop lourds, non adaptés à la réalité du terrain. Ils préconisent un statut bien particulier, au même titre que les hôpitaux de métropole qui sont régis par la Fonction publique hospitalière et dans lesquels les budgets sont généralement adaptés en fonction de l’activité.

Une moyenne de 60 heures par semaine au CHPF, contre 48 en France

Le CHPF fait également face, toujours selon les informations recueillies, à un cruel manque d’attractivité. En France, bien qu’il y ait aussi une pénurie de professionnels de santé, les conditions de travail se sont grandement améliorées après la crise Covid et l’adoption de la loi Ségur le 26 avril 2021. Selon les directives européennes, le temps de travail hebdomadaire, en métropole, est limité à 48 heures, ce qui n’est pas le cas en Polynésie française où les professionnels de santé sont régulièrement contraints de travailler plus de 60 heures par semaine.

Autres exemples donnés pour illustrer ces problèmes de lourdeur administrative et de manque d’attractivité : des problèmes de titularisation de praticiens liés aux complications administratives ; des heures supplémentaires, de personnels soignants nécessaires pour assurer des soins urgents, non payées ou payées très tardivement en raison de procédures de justifications trop lourdes… Les médecins font des gardes ou des déplacements sur astreintes qui ne sont pas comptabilisées comme des heures supplémentaires.

Un temps d’attente moyen aux urgences de 4 à 5 heures

Autre problème soulevé, celui de la non utilisation de la salle d’accueil des urgences vitales (SAUV), une fois encore par manque de moyens humains. Celle-ci existe depuis la création du CHPF et n’a été utilisée que durant la crise sanitaire. Il est urgent de la mettre en service selon les personnes rencontrées, notamment en raison de l’augmentation croissante des maladies gravissimes ( +25% depuis 2019) ou des maladies graves ( +50% depuis 2019). Les pathologies lourdes comme des arrêts cardiaques et urgences vitales sont prises en charge dans des lieux non adaptés. Le temps moyen d’attente aux urgences est aujourd’hui de 4 à 5 heures.

Une situation préoccupante selon les professionnels de santé rencontrés, qui s’appuient notamment sur une étude réalisée en France, par les équipes de l’AP-HP, de l’Inserm, de Sorbonne Université, coordonnées par le Pr Yonathan Freund et le Dr Mélanie Roussel (UFR santé de Rouen, Université de Rouen Normandie) en décembre 2022, intitulée “No Bed Night”.

L’étude prouve qu’une nuit passée sur un brancard aux urgences augmente de près de 40% le risque de mortalité hospitalière des patients âgés, qui passe de 11,1% à 15,7%. Le problème, toujours selon les informations recueillies, vient de la saturation des capacités de l’hôpital qui ne permet pas d’héberger tous les malades dans des chambres, ce qui oblige régulièrement à laisser des malades toute une nuit sur un brancard dans un couloir.

Une fatigue croissante chez le personnel soignant

Les différents professionnels rencontrés expliquent aussi que le nombre de salles du bloc opératoire est insuffisant pour pouvoir opérer dans des délais acceptables. De nombreux malades sont déprogrammés (intervention prévue à l’avance qui est reportée ), et des malades devant être opérés en urgence, doivent attendre des heures pour être enfin être pris en charge. Ceci en raison du manque de personnel qualifié au bloc opératoire. L’attractivité n’est pas suffisante pour recruter les personnels nécessaires, notamment à cause de la pénibilité des conditions de travail, et des lourdeurs administratives décourageant souvent les candidats potentiels.

Un an après le mouvement social, c’est un personnel qui travaille toujours sous tension au CHPF, avec parfois la crainte de ne plus être en capacité d’assurer une continuité des soins et qui fait face à des pathologies de plus en plus graves. Conséquences liées aux conditions de travail qui se dégradent : augmentation des arrêts-maladie, situation de fatigue croissante… Le personnel médical et paramédical tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme…

Des réformes indispensables

Le nouveau gouvernement est très attendu au tournant par les professionnels de santé. Un gouvernement qui hérite de la situation mais qui, selon le personnel du CHPF rencontré, se veut à l’écoute et plein de bonnes intentions. Les budgets se discutent et se votent actuellement. C’est avec une attention toute particulière que les professionnels du monde médical et paramédical attendent celui de l’hôpital pour l’année à venir. Contacté, le ministère de la Santé a préféré, période de budget oblige, ne pas s’exprimer sur le sujet pour le moment.

Les personnels soignants de l’hôpital attendent avec impatience les réformes indispensables pour permettre des conditions de travail acceptables et un fonctionnement normal. Selon eux, la situation ne pourra pas s’améliorer sans changer les statuts du personnel et le statut de l’hôpital, et sans trouver les financements pour répondre aux besoins médicaux en progression constante.