« Sans TVA sociale, la CPS terminait 2022 avec 4 milliards de francs de déficit »

Diplômé d’une école supérieure de commerce, Vincent Fabre est entré en 1995 à la banque Socredo. Il a succédé à Yvonnick Raffin à la tête de la CPS.
Diplômé d’une école supérieure de commerce, Vincent Fabre est entré en 1995 à la banque Socredo. Il a succédé à Yvonnick Raffin à la tête de la CPS. (Photo : Damien Grivois)
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Qu’il s’agisse de social ou de médical, la CPS est l’acteur central de la Protection sociale généralisée. (Photo archives LDT)

La Dépêche de Tahiti : Quelle est la situation financière de la Caisse de prévoyance sociale à la fin de l’exercice 2022 ?

Vincent Fabre, directeur de la CPS : Elle est bien meilleure que prévu. Globalement, sur l’ensemble des régimes RGS, RNS, RSPF, on avait construit en octobre 2021 un budget 2022 qui tenait compte du contexte de l’époque, avec un déficit de 5 milliards de francs. Finalement, on s’achemine vers un retour à l’équilibre dès 2022, et même un résultat proche de 2 milliards.

Une conséquence de l’embellie sur le marché de l’emploi ?

Le premier paramètre extrêmement positif, c’est en effet une reprise importante et rapide de l’emploi. La fin de la crise sanitaire a généré une reprise du tourisme, de la confiance, de la consommation. Qui dit emploi dit cotisations. Le deuxième impact financier, c’est la mise en place de la fameuse TVA sociale, la contribution pour la solidarité, à partir du premier avril 2022 qui génère globalement des recettes autour de 6 milliards de francs sur 2022. Sans cette contribution, la CPS afficherait un déficit de 4 milliards de francs. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’à compter du 1er octobre 2022, on a diminué le taux de cotisation maladie, ce qui n’a été rendu possible que par cette contribution de solidarité. L’idée est de moins ponctionner le coût de l’emploi des salariés, et de répartir plus équitablement la prise en charge des dépenses, notamment de maladie. L’assiette est élargie : la taxe est payée par tous les consommateurs, y compris les touristes.

Etait-ce une demande émanant du monde du travail ?

C’est d’abord une stratégie portée par le Pays. La réforme de la Protection sociale généralisée, la mise en place de la fiscalisation, c’est une œuvre de la collectivité, en accord avec la CPS et les partenaires sociaux qui ont toujours été volontaires pour diminuer la pression en terme de cotisations. Encore faut-il que les équilibres financiers le permettent…

“La population est de plus en plus âgée,
et de plus en plus malade…”

Quelles sont les prévisions budgétaires pour 2023 ?

Les grands équilibres restent fragiles. L’interrogation pour 2023 et les années à venir, c’est notre capacité à nous projeter. Aujourd’hui, même si on a mis en place une fiscalité, on est encore très dépendants en termes de protection sociale sur les ressources liées au travail. Et donc on est dépendants de la conjoncture économique. On espère que les années à venir seront bien orientées… On préfère rester prudents. Pour 2023, on a tablé sur une stabilité de l’emploi, mais ça reste à confirmer. En revanche, on mise sur une augmentation de la masse salariale, à effectifs stables, considérant l’inflation plus ou moins répercutée sur les salaires.

La crise Covid a montré que les belles prévisions peuvent s’effondrer…

La crise a confirmé ce que l’on savait déjà : nous sommes dépendants et vulnérables face à des facteurs exogènes qui ont un impact direct sur l’économie polynésienne, notamment sur son secteur le plus important, le tourisme. C’est une fragilité structurelle qu’il faut garder à l’esprit. Il faut rester prudent et adopter une démarche prospective.

Raison aussi de comprendre l’importance d’avoir des réserves, de se préserver des marges de manœuvre. On est confrontés, sur la branche retraite comme sur la branche maladie, à un effet de vieillissement de la population qui va se poursuivre… Les besoins en terme de prise en charge de la santé augmentent à un rythme régulier, donc l’équilibre budgétaire sera compliqué dès 2023.

C’est pour cela que la CPS tente de réduire les dépenses de santé ?

C’est surtout la raison pour laquelle il est important de mettre en place tous les instruments de pilotage pour endiguer les dépenses de santé qui ont mécaniquement tendance à augmenter. C’est compliqué puisque la population est de plus en plus âgée, et de plus en plus malade.

La problématique des longues maladies, en particulier, est très coûteuse. Il ne s’agit pas de remettre en question la qualité ni l’offre de soins, mais de trouver un équilibre entre les dépenses et les recettes. Autant on a des certitudes sur les dépenses, autant les recettes restent sujettes à aléas…

Quelle est la position de la CPS dans le dossier des maladies radio-induites reconnues par la loi d’indemnisation Morin ? Le coût total de ces dépenses équivaut-il à environ 100 milliards de francs, comme le clament certains élus ou responsables syndicaux ?

C’est un sujet sensible sur lequel je ne vois pas l’intérêt, à ce stade, de commenter les dépenses théoriques engagées. Ce qui est certain, c’est que nous avons chaque année des dépenses très importantes en matière de traitement des cancers.

Il y une augmentation du nombre de malades, et une hausse du prix moyen de la prise en charge d’un cancer. Il y a une amélioration de la prise en charge des malades, qui se traduit par une meilleure espérance de vie. On espère continuer dans cette voie, même si les coûts sont importants et croissants…

Quels sont les effectifs actuels de la caisse ? Poursuit-elle sa politique de décentralisation ?

On est autour de 500 personnes, un effectif relativement stable depuis plusieurs années. Comme toute entreprise, on doit faire évoluer les métiers, les compétences… On s’appuie beaucoup sur la formation interne. Nous avons eu beaucoup de départs à la retraite sur la période 2018-2019, et avons recruté de nouvelles têtes.

On essaie de développer le digital et la qualité de service. Nous avons 13 antennes, à Tahiti comme dans les îles. C’est important de garder une relation de proximité avec les Polynésiens, pas forcément toujours en capacité d’être connectés. Les employés des antennes sont très autonomes et polyvalents.

La chambre territoriale des comptes (CTC) a reproché à la CPS un traitement encore trop manuel des documents…

L’audit de la PSG avait en effet des recommandations à destination de la CPS, notamment sur la dématérialisation. C’est notre deuxième axe prioritaire en 2023. La CPS est très sensible aux audits externes et on met tout en œuvre pour traiter rapidement les recommandations. Nous sommes l’organisme de gestion, pour améliorer les process, il nous faudrait accompagner les acteurs. Il faut rester réalistes : le tissu économique est majoritairement composé de petites entreprises qui ne sont pas forcément digitalisées.

Le Pays et la caisse mettent en avant le fait que le système “ne laisse personne sur le bord du chemin”. Ce qui est faux puisque des droits sont souvent suspendus, sans même que l’assuré social n’en soit informé…

C’est une situation qui n’est pas satisfaisante, j’en conviens. C’est l’un des enjeux de la réforme de la PSG : toiletter les textes pour diminuer les cas de rupture de droits. Il y a plein de cas de figure. Le deuxième sujet, c’est la communication, et il faut qu’on l’améliore. Aujourd’hui, on doit faire en sorte qu’un maximum de ressortissants soient sur la plateforme Tatou, où l’on va bientôt atteindre les 100 000 abonnés.

Contrôle médical : “Le volume de dossiers nous met en difficulté”

De nombreux professionnels de santé alertent sur une “dérive” du service de contrôle médical, qui exige parfois des justificatifs ubuesques. “D’abord, il faut répéter qu’il y a un nombre de dossiers considérable, de remboursement maladie, d’arrêts de travail, d’accidents du travail, d’entrée et de renouvellement en longue maladie” répond Vincent Fabre, qui assure que ce volume est “supérieur à tous les standards des autres pays”.

Selon la directeur de la CPS, il est reproché au contrôle médical d’être trop strict, alors que dans le même temps une des critiques adressées à la CPS est de ne pas l’être assez… “Clairement, le volume de dossiers nous met en difficulté” indique Vincent Fabre qui “croit beaucoup à la coopération avec les acteurs de la santé”. Il indique travailler, avec les médecins-conseil et les médecins du privé comme du public, à la définition de “critères objectifs” concernant les longues-maladies.

Le siège de la CPS à Mamao. (Photo d’archives LDT)