INTERVIEW – Edouard Fritch : “l’emploi est un enjeu crucial” pour le Tapura

Edouard Fritch : "Nous proposons dans le programme du Tapura d’élargir la liste des produits dont les prix sont bloqués."
Edouard Fritch : "Nous proposons dans le programme du Tapura d’élargir la liste des produits dont les prix sont bloqués." (Photo Tapura)
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Après le Hau Maohi de Tauhiti Nena jeudi, c’est aujourd’hui vendredi au tour du Tapura huiraatira d’exposer à La Dépêche les grandes lignes de son programme. En qualité de leader du parti et de tête de liste, Edouard Fritch explique notamment sa stratégie face à la hausse des prix et reconnaît que l’emploi des jeunes est un enjeu crucial pour le parti rouge. Il annonce notamment, en cas de victoire, une refonte complète de tout le système d’aides à l’emploi.


Que propose votre liste face à la hausse des prix ?

Mes colistiers et moi-même sommes bien conscients des difficultés que rencontrent les familles polynésiennes face à la hausse des prix et, depuis plusieurs mois, nous avons pris le taureau par les cornes au travers de multiples mesures pour en réduire l’impact.

Mais n’oublions pas que l’inflation que nous connaissons depuis janvier 2022 provient essentiellement de l’extérieur : nous importons plus de 90 % de ce que nous consommons. Il faut également prendre en compte les taux du fret qui ont littéralement explosé sur la même période. Sur ces points, soyons clairs, notre marge de manœuvre est réduite sauf à rechercher de nouvelles sources d’approvisionnement extérieur plus compétitives.

Nous avons également déployé un bouclier anti-inflation composé de 27 mesures qui a permis, soit de geler le prix de certains produits, soit de limiter leur hausse, notamment des hydrocarbures, ou de la farine et plus largement les PPN et PGC.

Pour la prochaine mandature nous savons que l’inflation restera un sujet de préoccupation. Mais nous espérons qu’elle se limitera à des niveaux moyens inférieurs constatés pour l’année 2022, soit 6,4%.
Nous proposons dans le programme du Tapura d’élargir la liste des produits dont les prix sont bloqués.

Dès que possible nous baisserons les prix des carburants. Toujours dans une logique de lutte contre la vie chère, nous allons poursuivre et intensifier le contrôle des prix. Je sais qu’une grande partie des commerçants adhère à cette démarche. Au-delà de ces mesures techniques, nous favoriserons la concurrence entre les acteurs économiques pour faire baisser les prix.

Nous devons également revoir des dispositions réglementaires au niveau des normes pour pouvoir nous approvisionner à moindre coût auprès de nos grands voisins du Pacifique. Le travail a été entamé avec le ministère du commerce extérieur néo-zélandais. Enfin, nous devons produire et consommer en circuit court pour éviter les empilements d’intermédiaires et de marges. Produisons et consommons local !

Quelles seraient les priorités de votre politique économique ?

La vision économique du Tapura repose sur la conviction que la croissance économique est essentielle au développement de notre Pays, car elle est la garante de la création de richesses, du plein emploi, du maintien de notre modèle social et de la vie dans les archipels.

Les priorités que nous avons proposé dans notre programme reposent sur le développement du tourisme, conformément à la stratégie “Fari’ira’a Manihini 2027”, l’atteinte de l’autonomie alimentaire par le développement des secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’aquaculture, et enfin le développement des entreprises innovantes.

Nous soutiendrons et continuerons à accompagner celles et ceux qui prendront des risques pour développer leurs entreprises par des dispositifs d’aide qui seront adaptés à leur situation. Enfin, nous comptons beaucoup sur le tissu des très petites entreprises qui sont des acteurs de terrain discrets mais efficaces. Nous accentuerons nos engagements vers une autonomie énergétique le plus large possible

A l’attention des investisseurs, nous allons élargir le dispositif de la défiscalisation locale. Nous engagerons plusieurs chantiers structurants, notamment l’agrandissement et la modernisation de l’aéroport de Faa’a, nous allons élargir la passe de Papeete pour accueillir de plus gros porte containers pour sécuriser nos approvisionnements.

S’agissant du secteur du tourisme, nous allons accompagner l’investissement et la formation des acteurs du tourisme dans leur transformation vers une économie plus durable, au travers de la promotion de l’agro-tourisme et nous allons amplifier notre politique d’aide à destination des pensions de familles. Les idées ne manquent pas et les porteurs de projets nous attendent.

De quelle manière votre liste entend-elle faciliter l’insertion des jeunes sur le marché du travail ?

Conscients que l’emploi est un enjeu crucial pour les jeunes de la Polynésie française, nous sommes déterminés à continuer de mettre en place des mesures concrètes pour faciliter leur insertion dans la vie active. Nous avons déjà réalisé des avancées significatives dans ce domaine avec des chiffres du chômage qui n’ont jamais été aussi bas et avec un système efficace de protection de l’emploi local.

Notre vrai défi c’est la formation et la montée en compétence des jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi. La refonte complète de tout notre système d’aides à l’emploi va dans ce sens : -Professionnalisation, personnalisation des formations pour déboucher sur des emplois et activités pérennes :
-Renforcer l’employabilité des jeunes en développant l’apprentissage avec un objectif de 300 apprentis en 2023, 500 en 2024 puis 1000 par an dès 2025.
-Encourager l’entrepreneuriat chez les jeunes en offrant des formations et des aides financières pour les accompagner dans la création de leur propre entreprise.
-Elargir l’offre de formations des carrières sanitaires et sociales : les métiers de l’aide à la personne vont constituer un volume d’emplois très important dans les années à venir. Il est impératif que nos jeunes soient formés pour accéder à tous ces emplois qui sont souvent des emplois de proximité.
-Reconnaître les diplômes étrangers pour favoriser le retour au fenua de nos étudiants diplômés à l’international, en particulier dans le domaine de la santé.
-Créer le contrat étudiant pour permettre à nos jeunes d’avoir des “jobs étudiants” pendant les vacances par exemple.
-Maintenir dans la réforme des mesures d’aides à l’emploi celles dédiées aux jeunes comme les CVD.

Quelle politique préconisez-vous en matière de santé et de protection sociale ?

En 2030, 20% des Polynésiens auront 60 ans ou plus et de nombreuses pathologies chroniques apparaissent vers ou après cet âge et sont pourvoyeuses d’incapacités et/ou de dépendance. Nous agirons sur plusieurs leviers.

Le premier levier est celui de l’accroissement de l’offre de soins. Nous allons continuer à développer les capacités de prise en charge des patients dialysés ; ouvrir le pôle de santé mentale pour répondre à l’urgence du besoin ; lancer les travaux de construction du nouvel hôpital de Taravao ; renforcer notre offre pour la prise en charge des cancers; assurer l’égalité d’accès aux soins en réorganisant les Evasan ; réaliser le Pôle de Santé Privé Unique à Outumaoro.

Pour le financement des établissements de soins, il conviendra de rénover le mode de financement et de diversifier les sources. La maîtrise des dépenses ne pourra suffire à elle seule au rétablissement des comptes de l’Assurance maladie à l’équilibre. Il va falloir faire preuve de courage et d’imagination pour rendre notre PSG soutenable sur le long terme.

Le gouvernement a mis en place un programme de modernisation des soins de santé primaires qui a pour ligne directrice “vivre en bonne santé tout au long de la vie”.  Celui-ci porte sur une alimentation saine, la lutte contre l’obésité et les addictions.

Nous poursuivrons les dispositifs territoriaux de promotion de la santé, plaçant l’individu comme acteur de sa santé, tel le label “école en santé“, le dispositif “commune en santé” en collaboration avec les communes. 

Pour rappel, le dispositif pour les écoles élaboré à partir de l’expérience menée sur Moorea auprès de 9 écoles primaire entre 2017 et 2019 comprend à ce jour:  38 établissements scolaires labellisés sur l’ensemble de la Polynésie française soit 6886 élèves. D’ores et déjà 35 établissements scolaires complémentaires se sont inscrits vers cette démarche de labellisation.

La réforme des retraites sur le fenua a fixé l’âge de départ à 62 ans. Que propose votre liste sur ce point ?

Comme rappelé auparavant, 20% de la population aura 60 ans et plus. La réforme de 2019 a porté, au 1er janvier 2023, l’âge de la retraite à 62 ans après 38 années de cotisations continues. Il est de notre obligation de préserver une retraite à tous les salariés qui ont cotisé.

Les différentes dispositions prises par le nouveau conseil d’administration de la CPS en décembre dernier et l’accompagnement supplémentaire du Pays qui sera pérenne sur les branches retraites, sans coût du travail supplémentaire, permet de retrouver un souffle d’air à la branche de retraite A.

Notre objectif est de garantir les retraites tout en baissant le coût du travail. La retraite à 62 ans avec 38 années de cotisation sera donc maintenue.

Quels sont, selon votre programme, les moyens de lutter contre l’échec scolaire ?

Les causes de l’échec scolaire sont multiples et dépendent notamment du contexte familial, social et économique de l’élève. Il serait illusoire et mensonger d’annoncer une ou des solutions miracles pour résoudre l’échec scolaire.

Le premier levier part du constat que l’échec scolaire touche davantage les familles socialement fragiles mais aussi les îles éloignées. Nous nous engageons à renforcer les moyens en baissant les effectifs d’élèves par classe dans les écoles et les établissements scolaires non classés dans le réseau d’éducation prioritaire (REP+) mais dont les indicateurs se rapprochent des indicateurs des zones REP+. Cet effort est déjà amorcé mais que nous allons amplifier.

Deuxième levier : mieux et plus rapidement repérer les élèves dont les conditions sociales ne sont pas propices à la réussite scolaire. Une charte de bonnes pratiques sera signée dans le premier semestre de la mandature entre la DGEE, la DSFE et la Santé qui vise à trouver une solution pour repérer précocement et mieux suivre les élèves des îles éloignées ayant besoin d’un accompagnement orthophoniste.

Le troisième levier est une meilleure adaptation des contenus des enseignements et des pratiques pédagogiques des professeurs des écoles et enseignants. Un comité sur les savoirs fondamentaux sera créé dès le premier trimestre de la mandature (le texte est déjà prêt) pour lancer le chantier de l’adaptation des programmes scolaires.

En complément, les établissements scolaires bénéficieront d’un soutien financier pour tout projet présentant une démarche d’innovation pédagogique.

Le quatrième levier réside dans la nécessité d’améliorer le bien-être à l’école. Ainsi, dès la rentrée 2023, des subventions seront réservées aux projets et aux actions favorisant le bien-être à l’école, présentés par les écoles et établissements scolaires. Dans ce cadre, le développement du dispositif “école en santé” se verra décliné en collège et lycée en santé.

Que propose votre liste concernant l’héritage du CEP, la loi Morin, le futur “centre de mémoire” ?

Faire toute la lumière possible sur le fait nucléaire et les expérimentations atomiques à Moruroa et Fangataufa et leurs conséquences, dépasser les facteurs d’incommunicabilité au sein de la société polynésienne et entre celle-ci et la France, et ainsi contribuer à nous redonner confiance en notre capacité commune de rebond et d’avenir, telle est l’ambition que je porte depuis que j’ai accédé aux responsabilités.

Pū Mahara, le Centre Histoire et Mémoires des expérimentations nucléaires françaises dans le Pacifique, est l’élément clef pour permettre de dépasser notre passé douloureux.

On ne changera pas le passé, mais chaque Polynésien a besoin et a le droit de savoir ce qu’il s’est passé et de disposer d’éléments fiables pour se forger sa propre opinion sur le sujet et ainsi agir en connaissance de cause.

J’ai pris les rênes du projet à part entière pour le piloter et le réaliser comme il se doit pour les Polynésiens et par les Polynésiens. Car sur ce sujet fondamental de notre société, comme pour tous les autres, mon idéal est que nous prenions pleinement en main, à titre individuel et collectif, notre destin.

Je demande l’inscription de la reconnaissance du fait nucléaire dans la Constitution, et il s’agit de l’une des doléances reprises par la délégation polynésienne Reko Tika, justice et vérité, afin de disposer d’un verrou de sécurité qui ne pourrait pas être remis en question à chaque changement politique.

Enfin, je veux rappeler que nous avons introduit le “fait nucléaire” comme un programme à part entière dans les matières enseignées à l’école.

Quelle est votre réaction par rapport à la réinscription de la PF sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU ? Votre position sur le droit à l’autodétermination ?

Depuis 2019, nous nous rendons chaque année à New-York et nous demandons notre retrait de la liste des territoires non-autonomes de l’ONU. La colonisation, c’est du passé et aujourd’hui nous nous gouvernons librement et démocratiquement.

Le combat du Tavini à New-York est dépassé et n’apporte rien de concret au quotidien des Polynésiens. Ce n’est pas l’ONU qui va résoudre les problèmes de la vie chère ou de l’auto-suffisance alimentaire.

Concernant le droit à l’autodétermination, il implique un référendum. Pour les indépendantistes, le résultats des élections a valeur de référendum. Nous pensons également que la succession d’élections montre globalement que les Polynésiens sont attachés à leur appartenance à la République française.