Nouvelle – “L’apparence n’est pas réalité” par Karim Ahed

(Photo DR)
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Dans un village isolé, situé dans la montagne de l’Atlas, région berbère où vivent environ une centaine de personnes. Certaines sont très vieilles, malades, sans ressources, vivent de peu, mais somme toute, contentes de leur sort.

La religion, ou les croyances, y sont sans doute pour beaucoup. Dans ce lieu, peu de jeunes restent pour y vivre. Manque de travail, aucune perspective d’avenir. Pas d’électricité, ni eau courante, quelques radios qui fonctionnent avec des piles font le lien avec le monde d’ailleurs !

Ces personnes pensent à tort ou à raison que ce qui leur arrive ne peut être que l’œuvre du créateur, donc de Dieu. Elles sont résignées, acceptent leur sort (“maktoub”), c’est écrit !

Les journées s’écoulent d’une manière monotone. L’hiver, il fait très froid, sans chauffage dans les maisons, les habits ne sont pas non plus adaptés au climat rude des montagnes. Les conditions de vie sont rythmées par le même travail. Le matin : agriculture, travaux divers pour les hommes, tissages et tâches ménagères pour les femmes. L’été, il fait très chaud, peu d’endroit pour s’abriter, les maisons ne sont pas isolées.

Le peu de distraction reste le jour du souk (marché) durant lequel les villageois vont vendre le peu de production, afin d’acheter des provisions pour le foyer. C’est aussi le jour où on échange des nouvelles du monde extérieur.

Un jour, ce village paisible assiste à l’arrivée de plusieurs camions et de 4×4. Ingénieurs et ouvriers prennent possession d’un terrain domanial pour y construire un immeuble. D’habitude, les constructions, surtout conçues par l’Etat, traînent en longueur. Mais pour ce projet, l’ordonnateur a donné des consignes précises concernant la durée et apparement aussi la qualité de construction.

Le gouvernement ne souhaite pas non plus communiquer sur la destination du bâtiment. Du coup, les rumeurs les plus folles circulent sur ce projet que l’Etat veut mener à bien, et vite. Autour d’un thé à la menthe, chacun essaye de se projeter en espérant que ce bâtiment devienne soit une école, soit un dispensaire, soit encore une maison pour les personnes âgées ou un centre d’apprentissage…

Six mois passent. Le temps d’habitude s’écoule lentement dans ces coins reculés. De l’avis général, ce projet a modifié la perception du temps, dans ce village où il ne se passe d’habitude pas grand chose. Les habitants ont hâte de connaitre la destination de l’immeuble. De plus, à l’achèvement, il est bien conçu, de bonne facture. De quoi alimenter les conversations et les interrogations.

Le bâtiment achevé, ouvriers et ingénieurs partis, le local est fermé. Pour autant, sa destination finale continue à alimenter la gazette locale.

Un jour, un calligraphe arrive sur le lieu, dresse son échelle, se met à dessiner. Les villageois se regroupent pour scruter ce qu’il va écrire. Le calligraphe dessine la lettre H et s’en va.
Un homme d’un certain âge dit à la foule : “Je vous l’ai annoncé, c’est un hôpital, nous devons remercier les autorités pour ce geste.”

Un autre s’écrie : “C’est un hôtel pour les vieux, nous avons besoin de cet endroit pour mourir dignement.” Les spéculations continuent, les paris se multiplient, le perdant offre même un bon repas… L’attente est longue, aucune nouvelle, du calligraphe, des autorités…

Un jour, à l’aube, les villageois découvrent des voitures sur le parking de cette bâtisse, avec le sigle police. Le calligraphe est revenu pour achever l’appellation de l’immeuble qui porte désormais le nom d’hôtel de police! Une douche froide pour toutes et tous.

Moralité de l’histoire, l’Etat veille toujours sur vous. Il met tout en œuvre pour s’occuper de vous mais pas forcément de vos besoins…

Karim Ahed