Flosse et Fritch se “réconcilient” pour faire “barrage au séparatisme”

Gaston Flosse et Edouard Fritch, à nouveau alliés pour contrer le Tavini. Le président du Pays et son ex-mentor ont multiplié les signes très visibles de détente.
Gaston Flosse et Edouard Fritch, une réconciliation qui suppose d'être Polynésien pour pouvoir la comprendre, selon René Temeharo... (Photo : Damien Grivois)
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Retour en grâce inattendu pour Gaston Flosse qui ne boude pas son plaisir de revenir au centre du jeu politique à la faveur d’un désamour du Tapura. (Photo : Damien Grivois)

Tout pour éviter “la catastrophe”, selon les nouveaux amis réconciliés… ! Au lendemain d’un revers électoral majeur lors du premier tour des élections territoriales, le Tapura huiraatira vient de nouer une alliance avec le Amuitahiraa o te nuna’a maohi de Gaston Flosse, qui n’a pourtant jamais ménagé ses critiques envers le parti rouge.

La “famille autonomiste”, du moins les rouges et les orange, se déclare prête à oublier les “déchirures” du passé afin de faire obstacle au Tavini huiraatira lors du second tour le 30 avril. Conférence en grande pompe donc, mercredi matin à l’Assemblée de Polynésie française des deux “ex-ennemis” mais aussi feu nourri sur le Tavini huiraatira, Oscar Temaru et le candidat bleu ciel à la présidence du Pays, Moetai Brotherson. Les principales têtes des deux alliés sont présentes, avec leurs leaders Edouard Fritch pour le parti rouge et Gaston Flosse pour le parti orange.

Une rencontre afin de confirmer ce qui était déjà connu de tous depuis mardi 18 avril, à savoir l’alliance entre les deux partis pour le second tour des territoriales et une fusion de liste, la seule d’ailleurs, pour “faire barrage” au Tavini huiraatira.

Dans la première section, Pascale Haiti, compagne de Gaston Flosse, remplace, dans la liste Tapura, Romilda Tahiata.

Dans la section 2, c’est Patricia Lenoir qui laisse sa place à Katty Taurua.

Dans la section 3, Teva Bernardino cède sa place à Katty Taurua.

Enfin, pour la section 4, îles Sous-le-Vent, Moehau Colombani du Tapura se voit remplacer par Martial Teroroiria.

A la veille du premier tour, le Tapura n’imaginait sans doute pas devoir faire appel aux voix du Amuitahiraa qui n’a eu de cesse de critiquer Edouard Fritch et sa majorité depuis des années. (Photo Damien Grivois)

Selon Edouard Fritch, seuls ces points auraient été vus et négociés. Aucun portefeuille ministériel n’aurait été négocié ou acté à ce jour.

Durant cette conférence, Gaston Flosse, à la faveur d’un incroyable retour en grâce lié aux résultats électoraux, s’exprime en premier, à l’invitation de son ex-dauphin Edouard Fritch : “c’est avec plein de joie et beaucoup d’émotions que je me retrouve dans cette maison (Assemblée de Polynésie française, NDLR) que nous avons construite ensemble avec le président (Édouard Fritch) et ceux qui l’entourent”.

Le message du président du Amuitahira’a o te Nunaa Maohi continue ensuite sur le Tavini huiraatira et le “danger” que représenterait selon lui une victoire de ces derniers au second tour des territoriales. Toujours selon les propos du Vieux Lion : “nous avons parlé de notre pays et de la crainte de voir le Tavini huiraatira gagner. Ce serait la catastrophe pour notre pays”.

Pour Gaston Flosse, le Tavini et Moetai Brotherson “veulent attirer à eux tous ceux qui avaient peur de l’indépendance”.

La TVA sociale dans le viseur

Quand vient le tour d’Edouard Fritch, il est question dans un premier temps des blessures du passé entre les deux partis. “Je remercie Gaston car effectivement, c’est une déchirure que nous portions tous les deux.“

Tout comme Gaston Flosse, le message d’Edouard Fritch en vient rapidement au but de cette alliance : “Faire barrage aux séparatistes”. Pour Edouard Fritch, “les discours des séparatistes sont un écran de fumée alimenté par Moetai Brotherson pour faire croire au peuple que la question institutionnelle (autonomie ou indépendance, NDLR) n’est pas d’actualité.

Après les propos d’Edouard Fritch relatifs à sa peur de voir les indépendantistes arriver à la tête du Pays, il reprend ensuite ses axes principaux de campagne. Il évoque alors la contribution pour la solidarité (CPS), cette fameuse “TVA sociale” que quasiment toutes les listes annonçaient vouloir annuler, et qui a été selon lui l’objet de “longues discussions” avec Gaston Flosse.

En effet, le président du Pays s’engage à revoir sa copie. Il confirme avoir entendu “l’opposition de la population à la CPS.” Et conclut : “Je prends l’engagement dès aujourd’hui de réduire la CPS à 0,5% dès la fin du second tour. ! […] Dès début 2024, cette CPS disparaîtra de la mémoire des Polynésiens”.

SB/Photos DG

Billet : “Je t’aime… moi non plus”

La chanson de Serge Gainsbourg “Je t’aime…moi non plus” serait-elle le nouvel hymne de la nouvelle alliance ? Elle est plus que jamais d’actualité sur l’échiquier politique local suite à ce rapprochement pourtant si improbable entre le Tapura et le Amuitahiraa pour le second tour des territoriales. Les internautes n’ont d’ailleurs pas manquer de citer cette chanson en référence, tout comme le Tavini sur sa page Facebook… La chanson de Jacques Dutronc, “L’opportuniste” pourrait également faire partie de la playlist des deux partis.

Après la vague bleue au premier tour, il semble que, soudainement, le divorce acté en septembre 2015 entre le Vieux Lion et son ex-poulain soit “consommé”  et que la guerre froide entre les deux formations politiques soit oubliée. Il y a encore une semaine, Flosse et Bouissou s’étripaient sur le plateau de Polynésie la 1ère à coups de “Vous êtes des traîtres ! Vous avez voulu être plus grand que le chef !” pour le premier ou “Vous êtes devenu hargneux !” pour le second… 

Une alliance d’autant plus surprenante que les divergences étaient grandes sur l’évolution statutaire du Pays, Gaston Flosse développant un discours beaucoup plus ambigu sur le lien avec la France. Alors que Fritch se revendique pro-autonomiste et fidèle soutien du président Emmanuel Macron, Flosse, quant à lui, semble, depuis la création du Amuitahiraa il y a 3 ans, avoir changé son fusil d’épaule. Il déclarait en juin 2020 sur le plateau de TNTV : “Nous disons que l’autonomie est arrivée à ses limites et qu’elle est même est en train de régresser : nous voulons gouverner notre pays nous-mêmes”.

En janvier 2022, Flosse renouvelait son souhait d’émancipation sur le plateau de Polynésie la 1ère : “L’objectif lointain, c’est l’indépendance du peuple maohi, mais l’approche est différente. Oscar Temaru compte sur les Nations Unies, alors que le Amuitahira’a demande à la France d’organiser un référendum d’indépendance. Temaru rejette complètement la France.”

Comment une collaboration entre ces deux formations politiques est-elle possible aujourd’hui ? Quelles sont les réelles aspirations de Flosse et Fritch, à part répéter à l’envi publiquement depuis deux jours qu’il est urgent de contrer le Tavini et son envie d’indépendance…

Cette conférence de presse, sous faux-semblants d’amitié, de paix et d’intérêt général contre les “séparatistes”, a eu au moins le mérite d’afficher une “réconciliation” toute chrétienne. Mais sans la moindre garantie sur sa pérennité…

SB/DG