Edito – “Quel message a voulu délivrer le nouveau président ?” par Karim Ahed

"Le discours de Moetai Brotherson était volontairement "improvisé". Il a brièvement cité son histoire personnelle, parlé de l’adoption faa’amu, évoqué avec émotion son enfance et sa famille…"
"Le discours de Moetai Brotherson était volontairement "improvisé". Il a brièvement cité son histoire personnelle, parlé de l’adoption faa’amu, évoqué avec émotion son enfance et sa famille…" (Photo Sébastien Berson)
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Sans surprise, Moetai Brotherson a été élu chef de l’exécutif avec le soutien de sa majorité par 38 voix. Lors du scrutin, une tribune a été offerte à chaque candidat afin qu’il puisse s’exprimer et, le cas échéant, passer des messages. Et il y a en eu !

Le candidat des Marquises, Benoît Kautai s’est d’abord opposé à l’indépendance avant d’exprimer une inquiétude vis-à-vis des relations avec la Chine. La candidate A Haere Ia Porinetia (AHIP) a réglé ses comptes avec l’ex-majorité Tapura. Visiblement, la pilule n’est toujours pas passée et les rancœurs continuent à alimenter la gazette locale.

Puis est venu le tour d’Édouard Fritch. Le discours lu en reo tahiti a sensiblement différé de celui prononcé ensuite en langue française, vieille habitude chez certains politiques ! En tahitien, il s’est montré compréhensif, admiratif du travail de l’adversaire, et limite connivent “en remerciant le Seigneur de la victoire”. Celle… du Tavini ! En français, il a vanté son bilan, redit sa fierté et sa satisfaction du travail accompli, presque au point d’en oublier la défaite de son camp !

Il a aussi mis en garde ceux – les indépendantistes – qui ne respecteraient pas la France. “Il ne faut pas mordre la main qui nous nourrit” a-t-il déclaré, offrant là une toute nouvelle définition de l’équilibre du dialogue Paris/Papeete !

Le leader du Tapura ignorerait-il qu’il ne s’agit pas de mendicité, mais de solidarité du gouvernement central envers un territoire français, quand bien même il est “autonome” ? Les Polynésiens, à ce jour, restent à la fois des Francais et des Européens. Certains feignent de l’ignorer et cette formulation “mordre la main…” paraît aussi inattendue qu’inconvenante.

Improvisation, émotion, message politique…

Le discours de Moetai Brotherson était volontairement “improvisé”. Il a brièvement cité son histoire personnelle, parlé de l’adoption faa’amu, évoqué avec émotion son enfance et sa famille… Enfin, il a eu une pensée pour les sinistrés des intempéries.

Le nouveau leader a voulu rassurer sur ses relations avec la métropole et les voisins du Pacifique qu’il souhaite empreintes de respect. Il a cité Léon Tolstoï, l’écrivain pacifiste russe : “changer le monde, mais personne ne pense à se changer soi-même !”

Il a parlé de respect. D’abord du respect de soi-même et ensuite de celui des autres. Et incité les Polynésiens à mieux s’alimenter, à pratiquer une activité sportive ou de la marche.

“Jamais je n’ai cherché la gloire, ni voulu dans la mémoire des hommes laisser mes chansons. (…) Voyageur, le chemin, c’est la trace de tes pas, c’est tout…” disait le poète espagnol Antonio Machado.

Puis le président Brotherson est revenu sur le terrain politique en citant le député Tematai Le Gayic et une histoire belge. Il a ironisé sur la peur supposée de famine que pourrait provoquer le départ de la France… L’élu indépendantiste n’a pas évoqué les prix de la salade, du poisson et des bananes au marché actuellement. Et oublié également de souligner que le taux d’imposition actuel des entreprises polynésiennes (impositions fiscales et cotisations sociales) s’élève à environ 45%, soit quasi l’identique des entreprises de l’Hexagone. A cette différence que le financement des pouvoirs régaliens (justice, police, défense, affaires étrangères, monnaie) reste, ici, assuré par Paris.

Moetai s’est amusé de l’absence de gouvernement pendant trois ans en Belgique, et qualifié avec humour cette période de “plus belles années”. Cette monarchie parlementaire disposait toutefois d’un gouvernement qui expédiait les affaires courantes. Les budgets d’investissement et les recrutements de fonctionnaires ont souffert de cette volonté séparatiste des Flamands vis-à-vis des Wallons.

Au-delà de la boutade, l’absence d’exécutif dans un pays est-elle vraiment un scénario enviable ? Enfin, Moetai a informé l’assistance qu’il appelle “papa” son beau-père Oscar, manière de souligner la proximité et l’ancrage de l’affiliation au sein du camp Temaru. Chacun et chacune en tirera les conclusions de son choix.

“On improvise jamais mieux que lorsqu’on sait son texte” dit l’adage populaire.
Moetai Brotherson en a fait vendredi l’habile démonstration.

Karim Ahed