Portrait – Tiarama, les yeux du ciel polynésien

Tiarama exerce ses fonctions de contrôleuse aérienne à la tour de contrôle de l'aéroport de Tahiti-Faa'a depuis 2020. Avant cela, elle a exercé pendant 11 ans en France. (Photo : GA)
Tiarama exerce ses fonctions de contrôleuse aérienne à la tour de contrôle de l'aéroport de Tahiti-Faa'a depuis 2020. Avant cela, elle a exercé pendant 11 ans en France. (Photo : GA)
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Girl Power ! Autrefois considéré comme un métier essentiellement masculin, les femmes sont de plus en plus nombreuses à exercer la fonction de contrôleuse aérienne, dont le nom officiel est “Ingénieur du contrôle de la navigation aérienne”. A l’instar de notre députée, Mereana Reid-Arbelot, Tiarama, 37 ans, exerce la fonction au sein de la tour de contrôle de l’aéroport de Tahiti-Faa’a depuis 2020. Portrait.

Avant son bac, Tiarama se destine à une carrière de pilote. Pour s’éviter, à elle et sa famille, des études coûteuses, elle envisage d’intégrer l’armée de l’air pour voir son rêve se concrétiser. Après réflexion, se retrouver sur des zones de conflits, répondre à des ordres qui peuvent aller à l’encontre de ses valeurs, ces actions la laissent perplexe. Et l’avis défavorable de ses grands-parents, quant à son choix de carrière, ne la laisse pas insensible.

Une personne vient alors bouleverser le projet de Tiarama : Mereana Reid-Arbelot. Celle-ci, qui est sa cousine et qu’elle rencontre pour la première fois, lui fait découvrir le métier de contrôleuse aérienne, que la députée exerce.

Tiarama ignore jusqu’alors l’existence de cette profession. Un revirement de choix de carrière s’effectue soudain pour celle qui s’apprête à passer son bac : elle deviendra “aiguilleuse du ciel”, métier de l’ombre dont pourtant la vie de millions de personnes dépend.

Classes préparatoires et école nationale de l’aviation civile

Elle sait pourtant que le chemin sera long pour réussir. Son professeur principal de l’époque la pousse dans son choix. Il croit en elle. Il l’incite d’ailleurs à déposer un dossier pour le Prix de la vocation scientifique et technique des filles, organisé par l’Etat et le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale. Le professeur fait bien de croire en son élève, Tiarama est lauréate.

Ce prix récompense, chaque année, 650 lycéennes qui font le choix de s’orienter, après le baccalauréat, vers des filières scientifiques et/ou techniques de l’enseignement supérieur qui compte moins de 40 % de filles. Ce prix s’inscrit dans la politique de promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons dans le système éducatif, vise à favoriser la mixité professionnelle et à élargir les choix professionnels des jeunes filles.

Tiarama, dans son quotidien. (Photo : GA)

Son bac en poche, obtenu au lycée La Mennais en 2004, Tiarama s’envole pour Paris où elle intègre les classes préparatoires Math sup / Math spé du lycée Claude Bernard. A cette époque, il n’existe alors à Tahiti que les classes préparatoires HEC (études économiques) au lycée Paul Gauguin.

La brillante étudiante réussit avec brio ses deux années de prépa et aussi, du premier coup, les concours d’entrée à l’Ecole nationale de l’aviation civile (ENAC). Lorsqu’elle intègre l’école, un tiers seulement des étudiants de sa filière sont des filles.

Des candidats admis à l’ENAC recalés
faute d’une visite médicale satisfaisante

Mais pour pouvoir intégrer l’école, il faut passer une visite médicale. Tiarama, qui est déclarée apte, nous confie qu’un certain nombre de candidats admis à l’ENAC sont recalés faute d’une visite médicale satisfaisante. La vue et l’ouïe doivent être parfaites et ce, tout au long de la carrière d’un contrôleur aérien. La contrôleuse indique d’ailleurs qu’elle a vu certains de ses collègues perdre leur aptitude.

Elle intègre l’ENAC en 2006. Trois ans d’école l’attendent. Une partie théorique mais aussi des stages et une alternance afin d’apprendre le métier. Durant sa formation, Tiarama effectue 18 mois à l’ENAC et 18 mois de pratique en alternance sur le site d’Athis-Mons, qui est un Centre en route de la navigation aérienne (CRNA), situé près de l’aéroport d’Orly en région parisienne. Elle restera d’ailleurs dans ce centre de 2009 à 2020. Elle y sera certifiée en 2014.

Tour de contrôle de l’aéroport de Tahiti-Faa’a dans laquelle exerce Tiarama. (Photo : SB/LDT)

La jeune femme précise qu’il existe cinq centres de contrôle en route en France : à Reims, à Loperhet (près de Brest), à Aix-en-Provence et à Mérignac (près de l’aéroport de Bordeaux).

Le centre d’Athis-Mons, dans lequel est affectée Tiarama, gère alors plus de 4 000 vols par jours (A Tahiti, base de 1 000 vols par semaine) et se compose d’une équipe d’une soixantaine de personnes. Sur tous les contrôleurs aériens, environ un tiers d’entre eux sont affectés dans ces centres, précise t-elle, alors que le grand public n’envisage que des contrôleurs aériens dans les tours de contrôle.

“Les orages sont assez redoutés dans le monde des contrôleurs”

Au-delà d’une certaine distance et d’une altitude d’environ 10 000 pieds, le centre prend le relais des tours de contrôle, explique Tiarama. Chaque centre dispose d’un secteur et prend en charge tous les avions dans ce dernier. Pour chaque secteur, il y a deux contrôleurs sur chaque créneau de travail. Un parle aux pilotes des aéronefs, l’autre parle aux secteurs adjacents par téléphone.

Pour chaque secteur, le vol est, en amont, bien organisé, orchestré et communiqué, précise Tiarama. Cependant, le métier n’est pas un long fleuve tranquille. “S’il y a un orage ou si un avion a un problème et change de route, il se peut alors qu’il rentre dans le secteur de quelqu’un d’autre qui n’est pas au courant. Ce genre de situation peut être difficile à gérer et il faut alors rapidement prévenir les secteurs adjacents, qui peuvent être en Angleterre, en Belgique… Les orages sont assez redoutés dans le monde des contrôleurs.”

Interrogée sur une anecdote particulière, Tiarama se souvient d’une petite fille faisant une embolie pulmonaire sur un vol Air France Paris-New York. Elle explique qu’avec ses collègues, ils ont eu à gérer le retour immédiat de l’avion sur Paris pour permettre une prise en charge médicale rapide de la petite. Son équipe a reçu par la suite les remerciements de la compagnie pour leur efficacité dans la gestion de cette situation particulièrement stressante.

Les sacrifices et le travail ont été payants pour Tiarama qui indique que, pour rien au monde, elle n’aurait dévié de son rêve d’enfance, travailler dans l’aviation. Elle incite la nouvelle génération et spécialement les femmes à croire en soi. Son leitmotiv : “tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais.”