REFLEXION – “Qu’est-ce que la mort me donne ?”

"La mort me révèle l’essentiel. Elle sépare le nécessaire de l’anecdotique..."
"La mort me révèle l’essentiel. Elle sépare le nécessaire de l’anecdotique..." (Photo : archives LDT)
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La mort est souvent vécue comme une perte. On perd un ami, on perd un parent, un enfant, on perd la vie. La mort est amère, on regrette ceux qu’on a plus, ceux qui ne sont plus. Pourtant, on ne réalise pas toujours ce que la mort nous donne. A force de se fixer sur la perte, on ne voit plus le don. “Le don de la mort”, expression paradoxale ; on parle plus volontiers du don de la vie, tout le monde comprend le “don de la vie”. Le “don de la mort” est plus énigmatique et demande donc à être élucidé. Qu’est-ce que la mort me donne ?

La mort est le fondement de l’égalité entre les hommes. Le pauvre et le riche, le faible et le puissant, la célébrité et l’inconnu, Apollon et Quasimodo, tous, nous allons mourir et nous allons perdre des êtres chers. J’ai perdu ma mère en 2009 d’un cancer et mon père est décédé en 2018 suite à des problèmes pulmonaires. Aujourd’hui je suis donc un orphelin, quand on perd ses parents, on perd une partie de nous-même, je ne suis désormais le fils de personne. Je suis un père, un mari, un ami, un professeur, mais désormais personne ne me regardera comme un fils.

Lorsque quelqu’un perd ses parents, je comprends sa souffrance puisque je l’ai vécu aussi. Je connais les souffrances de l’agonie d’un être cher, les souffrances du décès, la tristesse liée à l’idée de ne plus revoir l’être aimé, jamais.

Qu’est-ce que la mort me donne ? La mort me donne la compassion. On comprend la souffrance d’autrui lorsqu’on l’a vécu dans sa propre chair. Compassion pour les gens que j’aime, compassion pour les inconnus ayant perdu quelqu’un et compassion pour toute l’humanité car tout le monde connaitra l’expérience de la perte, tôt ou tard. Notre égalité face à la mort est donc une source de compassion et de fraternité.

Deuxième don : la lucidité. Chaque décès a été pour moi l’occasion d’une prise de conscience. On a l’impression de sortir d’un rêve, on a l’impression de voir la vérité en face. Habituellement, nous sommes prisonniers de nos soucis quotidiens : le travail, la famille, les factures à payer, pour décompresser on se réfugie dans nos écrans. La vie devient ainsi une succession de soucis à gérer et le temps passe comme un rêve. La mort est une rupture de la vie quotidienne, une déchirure de notre temporalité.

“La mort est notre plus grande peur”

La mort de l’autre me renvoie à la mienne. Je prends conscience d’une vérité inévitable : je vais mourir. Je ne sais pas quand, demain, après-demain, dans 5 minutes, dans dix ans, dans 60 ans ; la mort est une énigme, elle frappe sans prévenir. Je l’oublie la plupart du temps sauf lorsqu’elle me frôle en touchant mes proches. La mort me révèle l’essentiel. Elle sépare le nécessaire de l’anecdotique. Qu’est-ce que je désire faire de mon existence ? Qu’est-ce qui est important pour moi ? Si je mourrais l’année prochaine, comment est-ce que je vivrais ma dernière année ? On se noie souvent dans des histoires futiles et ridicules. La mort nous sort la tête de l’eau et a le pouvoir de guider notre vie. C’est parce qu’on va mourir qu’on s’interroge sur le chemin de notre existence.

Troisième don : la sérénité. Lorsque les soucis me submergent, la pensée de la mort les relativise. Que vaut ce souci présent face à la mort ? Souvent, la réponse c’est “finalement ce n’est rien…”. Il ne s’agit pas non plus de faire la politique de l’autruche. Même si ce n’est pas grave dans l’absolu, il faudra bien résoudre ses problèmes puisque les problèmes c’est comme la vaisselle : quand on ne la fait pas, elle s’accumule. Faisons donc régulièrement la vaisselle de nos problèmes dans l’évier de nos vies.

Par contre, ce que la mort apporte c’est de la légèreté dans la résolution de nos problèmes quotidiens. On agit de manière légère car nous savons que ce souci dans l’absolu ne vaut rien face à la mort, inutile de se noyer dans un verre d’eau. Relativisons nos petits soucis quotidiens. La mort peut donc être paradoxalement source de sérénité. Paradoxe puisque la mort, la nôtre ou celle de nos proches, est notre plus grande peur. Or comment expliquer que notre plus grande peur soit source de légèreté et de sérénité ? La réponse est la suivante : c’est précisément parce que la mort est notre plus grande peur qu’elle a le pouvoir de supprimer les petites peurs. C’est parce qu’elle est le plus grand souci qu’elle peut détruire nos petits soucis. La conscience de la mort peut donc être aussi la condition de notre légèreté et de notre sérénité.

Quatrième don : le pardon. Lorsque quelqu’un me fait souffrir, je n’ai plus envie de le voir, comme on dit “on fait une croix dessus”. Combien de familles déchirées par les disputes refusent de se parler et de se rencontrer ? Combien de personnes se séparent à cause de rancœur réciproque non résolue ? Combien de personnes regrettent cette distance et cette colère lorsque l’autre meurt. Cette idée n’est pas originale. On a tous déjà entendu la phrase “n’attend pas la mort d’un ami ou d’un parent pour te réconcilier avec, après il sera trop tard”.

“La mort est un maître de vérité”

La connaissance théorique de cette vérité et vivre cette expérience malheureuse, ce n’est pas la même chose. Lorsqu’on assiste à un décès, lorsqu’on voit des gens souffrir parce qu’ils n’ont pas fait ce pas vers l’autre avant leur mort, ça nous ramène à nous-même. “Et moi est-ce que je ne risque pas de finir de la même manière, rongé par le regret ?”. Voir le malheur des autres annonce notre propre malheur futur. La mort est un maître de vérité. Elle révèle notre avenir et a donc le pouvoir de changer notre présent. Pardonner à celui qui nous a offensé et demander pardon à celui qu’on a déçu ou blessé, ce n’est jamais trop tard. Demain n’existe pas, je suis toujours ce que je fais aujourd’hui puisque demain c’est toujours demain et aujourd’hui c’est toujours aujourd’hui. Dire il faut que je le fasse, demain je vais demander pardon et me réconcilier avec lui, c’est toujours reporter le pas nécessaire vers l’autre. La vie est courte, agissons aujourd’hui pour retrouver la paix et l’amour, demain il sera peut-être trop tard. C’est ce que la mort nous rappelle.

Cinquième don : l’humilité. Devenir extraordinaire, être exceptionnel dans un domaine cela demande du temps, peut-être est-ce même l’œuvre d’une vie, il faudrait même quelquefois deux vies pour parvenir à notre idéal. Mais nous n’en avons qu’une, même si nous atteignons en cette vie un sommet au niveau économique ou intellectuel, ce sommet sera toujours en deçà de l’idéal visé. La mort nous rappelle notre finitude, nous ne sommes que de passage, étoile filante ou météorite sans éclat, nous ne sommes que de passage.

Taiamani HUCK