Interview – Selon l’économiste Florent Venayre, la “taxe CPS” est mal nommée

"On aurait pu éviter ces effets négatifs avec une véritable TVA sociale, mais il aurait fallu alors afficher un taux de près de 3 %" selon l'économiste Florent Venayre.
"On aurait pu éviter ces effets négatifs avec une véritable TVA sociale, mais il aurait fallu alors afficher un taux de près de 3 %" selon l'économiste Florent Venayre. (Photo : UPF et archives LDT)
Temps de lecture : 5 min.

Peut-on faire un bilan de la Contribution pour la solidarité, dite “taxe CPS”, presqu’un an après sa mise en place ?

Initialement, le gouvernement avait annoncé vouloir rechercher des recettes fiscales de 12 milliards de francs pour répondre au besoin de financement de la Caisse de prévoyance sociale (CPS). C’est pour cela que le taux de la CPS (la contribution pour la solidarité, cette fois) avait d’abord été envisagé à 1,5 %.

Devant la bronca déclenchée, notamment auprès des organisations syndicales, le gouvernement avait baissé le taux à 1 %, diminuant la recette attendue à 8 milliards de francs. Mais ensuite, les produits de grande consommation (PGC) avaient été exonérés de CPS (seuls les produits de première nécessité (PPN) devaient être concernés au début), puis ils avaient également été exonérés de TVA, réduisant encore le supplément de recette fiscale attendue.

On s’attendait ainsi peut-être à un peu au-delà de 7 milliards de francs en année pleine. Avec une introduction au 1er avril 2022, c’est de l’ordre de 5 à 6 milliards qui étaient attendus. On était donc très loin du compte pour assurer la pérennité du système social et de santé, par rapport aux 12 milliards annoncés comme nécessaires.

Finalement, portée par la reprise de l’activité économique et l’inflation, la recette de la taxe CPS s’élève pour 2022 à environ 6 milliards de francs et la caisse de prévoyance sociale devrait atteindre un résultat positif de 2 milliards au lieu des 5 milliards de déficit attendus, selon son directeur (LDT du 14 février 2023). On peut y voir un apport positif de la taxe CPS.

On peut aussi remarquer que le fonds de régulation du prix des hydrocarbures (FRPH) a atteint en 2022 des montants inégalés, supérieurs à ceux des recettes de la taxe CPS. Au passage, je profite de votre question pour répéter une nouvelle fois que retenir pour cette nouvelle taxe l’acronyme de “CPS”, alors même qu’elle est destinée à financer la caisse “CPS” était vraiment un très mauvais choix.

Cela n’aura pas facilité la compréhension de la population, en incitant notamment à parler, à tort pourtant, de “TVA sociale” pour tenter de la différencier de la Caisse de prévoyance sociale.

Le gouvernement a-t-il, selon vous, mesuré l’impact de l’inflation sur l’économie polynésienne ?

Pas à ma connaissance. Il est très difficile a priori d’en tenter une évaluation. Sur l’année 2022, l’inflation en Polynésie française s’élève à 8,5 % (évolution de l’indice des prix à la consommation de décembre 2021 à décembre 2022), ce qui est sensiblement élevé, non seulement par rapport à ce que l’on connaissait habituellement, mais également par rapport à la métropole (5,9 %) ou les autres outre-mer (3,3 % en Guyane, 3,9 % à La Réunion, 4,2 % en Guadeloupe, 5 % en Martinique et en Nouvelle-Calédonie et 7,1 % à Mayotte).

Ce fort accroissement des prix est bien entendu essentiellement le fait de causes extérieures à la Polynésie, mais il est certain que l’introduction de la taxe CPS n’a pas aidé à contraindre le phénomène.

Les rentrées d’impôts (IS-TVA) semblent satisfaisantes, pourtant le gouvernement ne communique pas sur l’avenir de la CPS : retrait, diminution ou maintien ?

Les rentrées fiscales sont effectivement à la hausse, soit qu’elles soient assises sur les revenus (impôt sur les sociétés pour les entreprises ou CST pour les particuliers), soient qu’elles proviennent de la consommation (TVA, CPS ou fiscalité douanière). La reprise de l’activité économique dont il faut se réjouir, et notamment le regain touristique, vient abonder les caisses du Pays. Si l’on raisonne au plan des recettes fiscales globales, on pourrait penser au retrait de la CPS, mais il faut se souvenir qu’il s’agit d’une taxe affectée (à la protection sociale), ce qui n’est pas le cas des autres impôts hormis la CST. Il y a donc des chances qu’elle soit maintenue (au-delà du fait même que sa suppression serait en quelque sorte reconnaître qu’il n’était peut-être pas, compte tenu des circonstances, si urgent de l’adopter). Et puis, on le sait, les taxes sont bien plus faciles à mettre qu’à enlever. On se souvient de la vignette automobile, créée en 1956 pour renflouer les caisses de l’Etat dans l’optique de financer une aide aux personnes âgées… et supprimée finalement progressivement à partir de 2000 !

Y a-t-il une cohérence dans les décisions du gouvernement entre le maintien d’un impôt (CPS) et la baisse des cotisations de la branche maladie ?

A l’origine, il avait été annoncé une TVA sociale, dont le principe est de transférer une part du financement par les cotisations sociales sur la consommation. L’idée était de créer dans un premier temps la CPS, puis d’envisager, plus tard, s’il était possible de diminuer les cotisations sociales sur le travail. Les bonnes recettes fiscales, d’une part, et l’agacement de la population à l’égard de la taxe CPS, d’autre part, ont sans doute accéléré la baisse des cotisations par rapport à ce qui était prévu au départ.

Concernant la TVA sociale, certains vont la soutenir au motif qu’elle permet une assiette plus large et fait contribuer l’ensemble des personnes qui, in fine, bénéficient du système social. D’autres vont au contraire la critiquer en raison du fait qu’elle transfère une charge financière de personnes qui disposent de plus de moyens (les travailleurs) vers d’autres personnes aux revenus plus minces, voire inexistants.

Chacun en appelle pourtant à une forme (différente) de “justice sociale”. Il s’agit donc d’un choix qui est essentiellement politique, sur lequel l’économiste n’a pas réellement d’avis motivé. Cependant, une TVA (sociale ou non) ne perturbe pas les équilibres de marché, dans la mesure où elle s’applique uniformément et où son caractère déductible induit qu’elle n’est prélevée qu’une seule fois en bout de chaîne, au niveau du consommateur final.

S’agissant de la CPS, c’est très différent puisqu’elle s’applique de manière non déductible à chaque transaction, tout au long de la chaîne verticale. Au niveau économique, c’est nettement plus perturbateur. On aurait pu éviter ces effets négatifs avec une véritable TVA sociale, mais il aurait fallu alors afficher un taux de près de 3 % (au lieu de 1 %). Cela aurait rendu la mesure plus impopulaire encore, même si, paradoxalement, elle aurait été meilleure au plan des mécanismes économiques.

Le système de cotisations basé sur le fruit du travail peut-il être remplacé par un financement par l’impôt ? Dans ce cas comment finance-t-on la caisse chômage ?

Un système social financé intégralement par l’impôt ne serait pas viable, particulièrement en passant par une taxe à la consommation qui frappe y compris les plus démunis. La ponction nécessaire serait bien trop importante à supporter. De fait, je ne pense pas du tout que ce soit l’objectif du gouvernement, qui a simplement souhaité à mon sens élargir l’assiette du prélèvement.

Quant à la caisse chômage, c’est encore un autre problème. S’il y a des avantages certains aux allocations chômage, il y a aussi des risques associés desquels il faut se préserver. Il y a surtout la question récurrente et lancinante de son financement. Compte tenu de la pression fiscale polynésienne actuelle, déjà élevée, mais également de ce qui ressort des débats historiques sur la question (et donc de l’acceptabilité sociale de la mesure), il semble que l’allocation chômage ne pourrait prendre, du moins au début, qu’une forme assurantielle qui ne s’appliquerait que pendant un laps de temps relativement restreint après la perte d’emploi.

Propos de Florent Venayre, professeur en Sciences économiques, recueillis par Karim Ahed