Sémir Al Wardi : la Polynésie française “a déjà des relations internationales”

Le politologue Sémir Al Wardi : "la Polynésie française a déjà une compétence internationale puisque précisément, à partir du moment où elle est membre du Forum, elle participe à cette géostratégie internationale. Ce qui n’est pas du goût du Quai d’Orsay…"
Le politologue Sémir Al Wardi : "la Polynésie française a déjà une compétence internationale puisque précisément, à partir du moment où elle est membre du Forum, elle participe à cette géostratégie internationale. Ce qui n’est pas du goût du Quai d’Orsay…"
Temps de lecture : 4 min.

(Photo DR)

Le président du Pays Moetai Brotherson est parti pour Séoul où doit se tenir une rencontre entre la Corée du Sud et le Forum des îles du Pacifique (FIP), la première du genre. A-t-il les coudées franches vis-à-vis de Paris ?

A partir de 2019, les membres du Forum des îles du Pacifique ont compris que l’Océanie était convoitée, avec d’un côté les nouvelles Routes de la soie de la Chine populaire et de l’autre l’Indo-Pacifique. Il s’agissait donc d’aller ensemble au devant de cette géostratégie, afin d’avoir davantage de poids.

Il a été décidé que dès qu’un Etat océanien était reçu ou invité par une grande puissance comme la Chine ou les Etats-Unis, il fallait y aller “groupés”. Il y a eu cette semaine un accord entre la Papouasie Nouvelle-Guinée et les Etats-Unis. Les dirigeants papous ont aussi rencontré le Premier ministre indien ainsi que Anthony Blinken. Le secrétaire d’Etat américain a passé une convention militaire, à l’instar de la convention “secrète” entre la Chine populaire et les îles Salomon.

Là, il s’agit pour la Corée du Sud de réunir le Forum des îles du Pacifique (FIP), toujours dans ce cadre de l’Indo-Pacifique. Séoul va probablement promettre des aides et des interventions aux membres du FIP, d’autant que la Corée du Sud est candidate pour l’exposition universelle de 2030 et souhaite un appui international.

Où faut-il situer la Polynésie française et le Forum des îles du Pacifique sur l’échiquier géopolitique de l’Indo-Pacifique ?

Il y a en fait d’abord le Quad (Quadrilateral Security Dialogue), ce “dialogue quadrilatéral pour la sécurité” qui se traduit par une coopération informelle entre les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Cette coopération est vue comme une réaction contre la puissance grandissante de la Chine. Il y a ensuite l’Aukus rendu public en septembre 2021.

Moetai Brotherson représente la Polynésie française en tant que membre à part entière au sein du Forum des îles du Pacifique.
(Photo archives LDT)

Cet accord de coopération militaire tripartite, formé par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, vise également à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indo-Pacifique. Et il y a enfin l’Indo-Pacifique qui est devenu le centre de gravité de l’économie mondiale. Six membres du G20 (Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon) sont présents dans cette zone… Moetai Brotherson va représenter la Polynésie française dans cette géostratégie internationale.

Selon les textes, la Polynésie française n’est pourtant pas compétente en matière de relations internationales ?

En effet, ou alors c’est sous conditions. Il y a deux articles dans le statut de la Polynésie qui disent que c’est soit après autorisation de l’Etat, soit l’Etat a un certain temps pour réagir pour ou contre. Autrement dit, pour les relations internationales, c’est l’Etat qui reste maître du jeu !

Quand Emmanuel Macron est venu à Tahiti, le président Fritch lui avait demandé une compétence internationale, en tout cas la capacité de participer à cet Indo-Pacifique, et il avait essuyé un refus. Mais de fait, la Polynésie française a déjà une compétence internationale puisque précisément, à partir du moment où elle est membre du Forum, elle participe à cette géostratégie internationale. Ce qui n’est pas du goût du Quai d’Orsay…

Quand le FIP s’est présenté à Washington en novembre dernier, avec dans ses rangs le président Edouard Fritch et son homologue de Nouvelle-Calédonie, le ministère français des Affaires étrangères a “souffert” de ne pas être dans la salle ! La Polynésie française est reçue à Washington, à Séoul,… donc elle a des relations internationales dans le nouveau jeu mondial.

Propos recueillis par Damien Grivois

Dialogue entre les dirigeants des États-Unis et du Forum des îles du Pacifique
à Port Moresby, en Papouasie-Nouvelle-Guinée

La Maison-Blanche 
Le 22 mai 2023 

“Nous, le Forum des îles du Pacifique, représenté à cette réunion par les gouvernements de l’Australie, des îles Cook, des Fidji, de Kiribati, de Nauru, de Niue, de la Nouvelle-Calédonie, de la Nouvelle-Zélande, des Palaos, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, de la république des Îles Marshall, des îles Salomon, du Samoa, des Tonga, de Tuvalu et de Vanuatu, ainsi que les États-Unis d’Amérique, nous réunissons à l’occasion du dialogue entre les dirigeants des États-Unis et du Forum des îles du Pacifique, à Port Moresby, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le 22 mai 2023.

Lors du tout premier sommet entre les États-Unis et les îles du Pacifique, qui s’est tenu à Washington en septembre 2022, nous avons annoncé la déclaration sur le partenariat entre les États-Unis et le Pacifique. Aujourd’hui, nous réaffirmons notre vision commune d’une région Pacifique résiliente où règnent la paix, l’harmonie, la sécurité, l’inclusion sociale et la prospérité.

Nous sommes déterminés à renforcer le régionalisme du Pacifique, avec en son centre un Forum des îles du Pacifique fort et uni. Nous continuerons de travailler ensemble pour relever les défis communs tels que la crise climatique, pour faire progresser la croissance économique inclusive et l’équité sociale pour les populations du Pacifique et pour défendre ensemble les priorités que nous partageons.

Nous réaffirmons notre engagement à traiter de manière exhaustive les héritages des conflits et à promouvoir la non-prolifération nucléaire, et nous reconnaissons l’héritage nucléaire de la guerre froide. Nous restons déterminés à répondre aux préoccupations actuelles de la république des Îles Marshall en matière d’environnement, de santé publique et de bien-être.

Nous soutenons la vision de la stratégie 2050 pour le continent du Pacifique bleu et reconnaissons son rôle central dans le renforcement du partenariat entre les États-Unis et le Forum des îles du Pacifique. Cette réunion s’appuie sur trois décennies de coopération étroite entre les États-Unis et le Forum des îles du Pacifique et nous nous réjouissons de la tenue du deuxième sommet entre les États-Unis et le Forum des îles du Pacifique en 2023. 

Enfin et surtout, nous saluons et reconnaissons la chaleureuse hospitalité du gouvernement et du peuple de Papouasie-Nouvelle-Guinée qui ont accueilli ce dialogue.”  

Voir le contenu d’origine : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/05/22/u-s-pacific-islands-forum-leaders-dialogue-in-port-moresby-papua-new-guinea/