Justice – Meurtre à Punaauia, une journée pour comprendre le contexte

L'auteur des coups de couteau, en détention provisoire depuis septembre 2020, est décrit par sa famille comme serviable et gentil. (Photo YP)
L'auteur des coups de couteau, en détention provisoire depuis septembre 2020, est décrit par sa famille comme serviable et gentil. (Photo YP)
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Un homme de 31 ans comparaît jusqu’au 14 juin face à la cour d’assises de Papeete. Il risque 30 ans de prison pour des coups de couteau mortels sur l’ex-compagnon de sa sœur. La première journée d’audience a été consacrée à l’étude du contexte familial et la description du couple toxique et violent que formait la victime avec la sœur de l’accusé

L’auteur des coups de couteau est en détention provisoire depuis le 13 septembre 2020. Lorsqu’il est interrogé sur son parcours et sa personnalité, après le traditionnel tirage au sort des jurés, on découvre un jeune homme, vêtu de gris, la coiffure impeccable, qui semble calme et posé lorsqu’il répond avec clarté aux questions de la présidente.

Il est décrit par sa famille comme serviable et gentil, une gentillesse confirmée par le personnel pénitentiaire qui rend sur son attitude en prison un rapport élogieux. Issu d’une famille de huit enfants, les personnes interrogées dans son quartier de Punavai plaine le dépeignent comme “le plus doux des frères” d’une famille unie et solidaire.

C’est d’abord le témoignage d’une mère très marquée, tant physiquement que moralement. Elle fond en larmes dès sa première phrase en déclarant “il n’est pas méchant”. À propos des problèmes de couple de sa fille aînée, elle se contente de dire qu’elle ne connaissait pas les raisons des disputes. Elle avoue juste ne pas être contente que sa fille voit toujours l’ex violent, qui n’en est pas vraiment un, d’ex, puisqu’ils dorment encore régulièrement ensemble.

Le jour du drame, ils passent d’ailleurs l’après-midi côte à côte autour d’une caisse de bière chez des voisins et amis. L’homme a pourtant reçu une interdiction de contact avec la jeune femme lors d’une précédente condamnation pour l’avoir déjà lourdement frappée.

Les trois frères

C’est ensuite le rapport détaillé, minute par minute, du soir des faits donné par le directeur d’enquête de la gendarmerie, ainsi que le compte-rendu de la première garde à vue de l’accusé et les auditions des témoins et voisins.

L’enquête révèle trois scènes de violence. La première entre la victime et sa compagne à l’intérieur de la cour de la maison familiale. Alors qu’elle a quitté l’apéro entre voisins, appelée par sa mère, c’est sur fond de jalousie que débute la première. L’homme prétexte, selon elle, devoir récupérer des affaires pour justifier de revenir devant chez elle. On détaille une télé, une console et des jeux, une barre et des poids de musculation, un congélateur.

Alors que la jeune femme, aidée d’un de ses frères, commence à poser les affaires concernées au niveau de l’entrée, la victime, toujours à l’extérieur, saute soudainement le portail et fonce sur elle. Après des coups qui lui feront perdre connaissance, et alors qu’il l’étrangle, l’accusé et un de ses frères interviennent, et chassent l’assaillant qui est aussi pratiquant de boxe thaïlandaise. Il repart avec ses poids de musculation dans les mains.

À cet instant, tout va très vite. Un troisième frère arrive en voiture dans la servitude. Croyant celui-ci menacé par l’homme qui s’approche avec des disques de musculation à la main, l’accusé fonce derrière lui et lui assène quatre coups de couteau au niveau des trapèzes et du cou. Une violente attaque, des plaies profondes de 6 à 10 cm, la lame du couteau se brise même sur une vertèbre.

C’est la carotide sectionnée que l’homme réussit miraculeusement à rejoindre, à soixante mètres de là, la maison des amis et voisins qui l’hébergent. Après avoir marché dans une mare de sang, l’ami d’enfance trouve la victime qui peine à parler pour lui dire que les frères l’ont “assaut”. Des frères en colère que le voisin entend puis distingue dans la pénombre. L’un est armé d’un couteau à pain et d’un fer à béton.

“Il voulait le lyncher” déclare-t-il. Avant d’en arriver là, les gendarmes, les pompiers puis le SMUR arrivent rapidement sur les lieux et ne peuvent que constater le décès de l’homme parti se réfugier dans un garage.

La sœur à la barre, l’audience dérive

Il est question de décrire la violence au sein du couple et les conséquences qu’ont pu avoir ces violences sur le comportement de l’accusé le soir des faits. Il peine à cacher ses larmes à l’arrivée de sa sœur à la barre, lui jusqu’alors attentif et impassible.

Elle aussi, un gros châle de laine sur le corps pour lutter contre la rigueur de la climatisation de la salle d’audience, elle est à fleur de peau et sanglote déjà. Matraquée de questions, au point de croire par moment que c’était son procès, elle dépeint sa vie de couple avec un homme qu’elle décrit possessif, violent et infidèle.

Les premières années, elle ne dit rien à personne, par honte, explique-t-elle. Mais à partir de 2018, elle enchaîne les plaintes contre la victime, au point qu’elle est équipée d’un dispositif de secours TGD (téléphone grave danger) par le procureur en juillet 2020, deux mois avant le drame.

Après les magistrats, l’avocat général, l’avocate de leurs jumeaux, celle de la famille de la victime se relaient : depuis quand il frappe ? Pourquoi ? Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte ou parlé à ses frères plus tôt ? Puis plus tard : pourquoi porter plainte et continuer à le voir ? Pourquoi aller le voir l’après-midi ? Pourquoi continuer de dormir avec lui ? Alors même qu’il a par exemple agressé sexuellement sa belle-fille de 14 ans.

Elle répond, parfois très hésitante, gênée ou tremblante qu’il la frappe depuis 2013. Une jalousie maladive, et parfois de l’agressivité envers un de leur jumeau semblent être la cause des disputes puis des coups. Elle ne dit rien parce qu’elle a honte. Elle ne fait rien parce qu’elle a peur des représailles. Elle continue à le voir parce qu’il la menace et qu’elle a peur.

La première journée s’achève alors que l’accusé n’a pas été impliqué, voire à peine concerné par les débats du jour. Il le sera ce mardi 13 juin, tout comme une dizaine de témoins, lorsqu’il s’agira de répondre sur les faits pour lesquels il risque 30 ans de réclusion.

Compte-rendu d’audience Y.P.