Matari’i i ni’a : le nouvel an polynésien célèbré à Taputapuātea

Le hongi est une salutation tête à tête. 
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Samedi 4 novembre, les habitants de l’île sacrée se sont retrouvés au marae Taputapuātea pour fêter avec force rituels le changement de saison. En effet, la montée dans le ciel de la constellation des Pléiades — matarii  — indique le début de la saison d’abondance et, par-là, une forme de prospérité bienheureuse. 

La pluie comme un premier signe d’abondance

En dépit d’une météo franchement décourageante, plusieurs dizaines de personnes se sont présentées à Opoa dès 9 heures le matin, leur nombre grossissant à une soixantaine au cours de la journée. Wilfrid Sidolle, co-président de ’A Nui Taputapuātea, l’association organisatrice de l’événement, a invité tout un chacun à se déchausser pour se reconnecter à la terre. Pieds nus dans les flaques, il a considéré la pluie comme un premier signe d’abondance : “l’eau n’est-elle pas la base de toute vie ?“.

Il a ensuite présenté les différents groupes partenaires : la troupe de danse Ia ora na Tahiti, les agriculteurs Fāora Lab et Tihoti Tarua, l’association de protection de l’environnement Te miti o te fenua avant de remercier les autres participants venant d’horizons divers. Le groupe ainsi constitué s’est mué en procession dès lors que André Maramatoa, qui officiait comme ‘orero, lui a “ouvert” les portes du marae. Sur le ahu, l’esplanade sacrée, les jeunes porteurs du unu ont dressé cette sculpture plate en bois qui figure la saison d’opulence. 

Échange des souffles de vie

Après avoir constitué un cercle harmonieux, le groupe a pris un long temps, une belle heure, pour procéder au hongi. Ce salut traditionnel māori consiste à presser le nez et le front d’une autre personne pour respirer le souffle d’autrui. Visages ainsi rapprochés, de quelques secondes à quelques minutes suivant le besoin, un lien fort se crée.  Alors que le ciel s’éclaircissait et que la majorité des personnes se dirigeait vers le buffet, les chefs des associations ont prolongé l’échange en constituant un cercle de parole sous les mape.

 “Nos jeunes ne sont pas encore prêts pour guider les autres”

Puis, le ma’a tahiti, débordant de taro, uru, ’īpō (pain de coco cuit à l’eau), poisson cru, fruits locaux… a été l’occasion d’initier joyeusement au débourrage et râpe des cocos afin d’arroser de lait les légumes vivriers et les poe succulents. Assis en bordure du lagon, leur assiette posée sur les genoux, nombre de personnes se sont rapprochées les unes des autres, écoutant notamment les récits des matahiapo, dont certains issus du Conseil des sages de Opoa à l’instar de Papy Fernand. Ces anciens sont dépositaires d’une vaste connaissance quant aux pratiques anciennes. « Malheureusement, ils s’éteignent les uns à la suite des autres, observe Titaua Raapoto, de ATN, citant le récent décès de Tony Hiro, un homme qui s’est illustré dans le domaine du sport et de la culture polynésienne. “Or, ils ne laissent pratiquement aucun successeur, s’inquiète-t-elle. Nos jeunes ne sont pas encore prêts pour guider les autres. Seul André Maramatoa, qui se forme patiemment depuis nombre d’années en matière de ’orero, est compétent. Nous l’épaulons et le soutenons de tout cœur“. 

Pour combler l’absence de passerelle entre les générations, rien de tel que la récitation collective et bien entendu le chant. Accompagnée en musique par Olivier Tissot, co-leader du groupe raiatéen Ta’i ora, l’assemblée a entonné la chanson Te tau Matari’i, écrite par Titaua Raapoto. Ce fut une belle introduction à la prestation de la troupe de Papara à qui un challenge avait été lancé : accompagner les danseurs de Ia ora na Tahiti avec uniquement les instruments existant à l’époque pré-européenne. Ce qui se résume au pahu, tambour frappé à la main et tendu jadis de peau de requin, au vivo (flûte nasale en bambou), au (conque marine ou bien bois sculpté). Défi relevé !

Les archers ont percé le ciel de leurs flèches

Après la plantation d’un pied de aute, une essence à tapa, celle de pia, utilisé jadis pour fabriquer de l’amidon, puis la cérémonie du ava, le crépuscule a invité à pénétrer dans le lagon. Les archers ont alors percé le ciel de leurs flèches afin de déverser l’abondance sur le fenua. « Nos ancêtres enflammaient leurs flèches et, d’un coup d’arc, les projetaient en direction des étoiles Matari’i. Pensaient-ils vraiment atteindre ces étoiles ? Oui mais de façon symbolique. En retombant dans le lagon, les flèches éclataient le reflet des étoiles qui déversaient, alors, l’abondance à tous les niveaux : fruits, poissons, navigations facilitées… », explique Jean Mere, guide patrimonial au marae Taputapuātea.

Prières, chants, musiques, danses, gestes anciens, actes symboliques, immersion historique, repas traditionnel, conversations multigénérationnelles… cette journée incroyablement féconde en partages augure bien d’une abondance à venir.   

Gaëlle Poyade