Élections territoriales : mode d’emploi, par Sémir Al Wardi

La liste qui a la majorité absolue au premier tour ou, à défaut, qui arrive en tête au second tour emporte un tiers des sièges à pourvoir.
La liste qui a la majorité absolue au premier tour ou, à défaut, qui arrive en tête au second tour emporte un tiers des sièges à pourvoir.
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Entre mai 2004 et avril 2013, la Polynésie française a connu 10 présidents ; soit 10 présidents en 9 ans. C’est donc à la suite d’une instabilité politique forte que le mode de scrutin a été modifié. 

Mais, comme le rappelait l’historien René Rémond au sujet de la IVè République, lors de cette instabilité gouvernementale en Polynésie “un même groupe d’hommes exerce continûment le pouvoir” : Oscar Temaru a été président 5 fois, Gaston Tong Sang 3 et Gaston Flosse 2 ; ce sont donc trois présidents qui se sont succédés. 

C’est la loi du 1er août 2011 qui instaure le nouveau mode de scrutin. Cette loi s’inspire du mode de scrutin des élections régionales en métropole adoptée en 2003 afin de lutter contre l’instabilité politique qui concernait 20 régions sur 22.

L’ancien mode de scrutin :

Entre 1952 et 2001, le mode de scrutin en Polynésie était inchangé : les conseillers territoriaux étaient élus au scrutin de liste à un tour à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Ce mode de scrutin ne permettait pas, en théorie, d’obtenir une majorité stable et favorisait ainsi les coalitions gouvernementales.

Pourtant, aux élections territoriales de 1996 et de 2001, avec ce scrutin à la proportionnelle, Gaston Flosse a obtenu une majorité absolue, ce qui est exceptionnelle. Il annonça même après les élections territoriales de 2001 qu’il avait pronostiqué le résultat avant même les élections et ajouta sûr de lui : “jamais je ne me suis trompé” !

Pendant huit années, de 1996 à 2004, le Tahoeraa Huiraatira était maître du jeu politique. Parti politique dominant, il disposait d’une majorité absolue à l’assemblée et d’un fort appui politique et financier de l’Etat.

Pourquoi alors changer des règles électorales aussi favorables au Tahoeraa ? C’est le président- Sénateur qui a imposé ce nouveau mode de scrutin par un amendement dans la loi de 2004. La seule raison tenait de ce désir de réduire l’opposition à sa plus simple expression. La majorité absolue ne suffisait plus, il fallait encore plus.

Ce nouveau système ne peut qu’imposer les grands partis et ainsi favoriser la bipolarisation de la vie politique : désormais, pensait-on, le Tahoeraa et le Tavini occuperaient seuls l’espace politique.

C’était aussi le souhait du Tahoeraa d’être le seul “rempart contre l’indépendance” et qu’ainsi l’on confonde inévitablement la “défense de l’autonomie” avec le parti.

Comme l’écrit Robert Charvin, “accorder le plus de place possible à une certaine opposition au détriment des autres permet au dominant de choisir leurs adversaires et de fabriquer “l’opposition de sa majesté“”.

La seule opposition tolérée par le Tahoeraa, mais dans sa plus simple expression, était le Tavini.

Cette règle électorale divisait la Polynésie en 6 circonscriptions et ajoutait une prime majoritaire dans chacune des circonscriptions. La revue du Tahoeraa affirma, avant les élections de mai 2004, que “l’autonomie constitutionnelle, c’est précisément la fin des magouilles d’alcôve, des retournements de veste, la fin de la trahison des électeurs“. Ce fut exactement le contraire. Plus tard, en 2007, une loi supprimant la prime majoritaire était votée mais elle ne fut jamais appliquée.

Le nouveau mode de scrutin :

La loi du 1er août 2011 instaure donc une seule circonscription divisée en 8 sections. C’est-à-dire que désormais seuls les résultats de toute la Polynésie comptent.

Dans un second temps, la distribution des sièges se fait par section. Chaque section a un nombre de sièges qui correspond au nombre de sa population sauf pour les petites sections qui ont nécessairement 3 sièges.

Une prime majoritaire de 19 sièges sur 57 est accordée au vainqueur. Autrement dit, celui qui a la majorité absolue au premier tour ou, à défaut, qui arrive en tête au second tour emporte un tiers des sièges à pourvoir.

Puis, la distribution des autres sièges est réalisée avec la liste gagnante et les autres listes encore dans la course (listes ayant obtenues au moins 5% des suffrages exprimés).

La majorité sera ainsi forte voire très forte puisque s’ajoute à la prime des 19 sièges, les sièges que la liste victorieuse obtient par la répartition à la proportionnelle. Seuls les grands partis peuvent prétendre siéger à l’assemblée.

Le déroulement des élections

Au préalable, chaque liste doit présenter une liste complète de 73 noms (les 57 représentants +
les suppléants) répartis sur les 8 sections avec le nom de la tête de liste et une parité parfaite (homme-femme ou femme-homme) sous peine d’annulation.

Les listes doivent obligatoirement comprendre des candidats dans chaque section et ces derniers doivent être des électeurs d’une commune de la section ou être inscrits au rôle des contributions d’une commune de la section. Le “parachutage” est ainsi impossible. La constitution même d’une liste est donc un handicap sérieux pour les petits partis.

Le premier tour :

Le premier tour des élections se déroulera le 16 avril 2023. Il faudra attendre les résultats de l’ensemble de la Polynésie, c’est-à-dire tard dans la soirée. Autrement dit, on additionne les suffrages obtenus par chaque liste dans chacune des 8 sections.

Si une liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, elle emporte la prime des 19 sièges répartie par section :

Puis, le reste des sièges à pourvoir (38 sièges) est partagé à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne dans chaque section entre toutes les listes qui ont obtenues au moins 5% des suffrages exprimés dans l’ensemble de la Polynésie française.

Si aucune liste n’a la majorité absolue, il sera procédé à un second tour.

Le second tour :

Le second tour est prévu le 30 avril 2023.

Pour pouvoir participer à ce second tour, les listes doivent avoir obtenues au moins 12,5% des suffrages exprimés au premier tour, soit environ 15000 à 17000 voix. Un chiffre élevé pour la Polynésie qui, encore une fois, exclut les petits partis politiques !

Ces derniers peuvent procéder à une modification des listes avec les listes ayant obtenues au moins 5% des suffrages exprimés (environ 6000 voix). C’est la tête de liste qui décide seul des alliances possibles.

Cette disposition est difficile à réaliser : comment demander à des personnes d’une liste “populaire” de céder leur place à une autre dont la liste a obtenu moins de voix ? De toute façon, les listes qui ont obtenues entre 5 et 12,4% des suffrages doivent être “invitées” par une liste ayant obtenu au moins 12,5% des suffrages. Seules, elles ne peuvent prétendre à rien.

En revanche, deux listes du même “bord” politique, qui ont obtenues au moins 12,5% des suffrages, peuvent avoir intérêt à constituer une liste commune afin de ne pas éparpiller les voix.

Le soir des élections du second tour, c’est donc la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Polynésie qui obtient la prime majoritaire de 19 sièges. Et là encore, les 38 autres sièges seront répartis à la proportionnelle entre la liste gagnante et les listes qui auront au moins 5% des suffrages exprimés toujours à l’échelle de la Polynésie.

Des surprises dans la circonscription unique ?

Si l’on retrouve 3 listes au second tour qui se partagent les suffrages presque à part égal (trois tiers), c’est la liste qui aura qu’une seule voix de plus que les deux autres listes qui l’emportera avec une majorité confortable. Et la liste qui l’emporte, même avec qu’une seule voix d’avance, restera au pouvoir cinq années, la motion de “censure” étant très difficile à mettre en œuvre depuis la loi de 2011.

Des surprises dans les sections ?

Ce système peut également donner des résultats étonnants dans les sections : une liste peut obtenir par exemple 60% dans une section mais ne pas recevoir de sièges si la liste à l’échelle de la Polynésie française a obtenu moins de 5% des suffrages exprimés.

Ou, inversement, une liste peut avoir un mauvais score dans une section, par exemple 3%, et obtenir au moins un siège si sa liste à l’échelle de la Polynésie a remporté obtenu au moins 12,5% des suffrages exprimés.

Enfin, il reste une inconnue : l’abstention. Si elle est forte, le nombre de suffrages exprimés nécessaire sera moins élevé mais surtout, ce sera le vote “militant” qui l’emportera. 

Une campagne à suivre…

Sémir AL WARDI Professeur des universités Université de la Polynésie française.