Tribune – “Vous avez dit mana ?” par Simone Grand

Né à Papara, Tiurai, de son vrai nom Tahiarua Onohi Mihinoa A Tati était issu d’une des plus grandes familles de l’île.
Né à Papara, Tiurai, de son vrai nom Tahiarua Onohi Mihinoa A Tati était issu d’une des plus grandes familles de l’île.
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Il m’arrive d’avoir mal à la tête en lisant et entendant certains discours sur des mots et concepts tahitiens. S’agissant d’une langue interdite et si méprisée que même notre Académie lui attribue des origines hébraïques et grecques au lieu d’océaniennes; le désarroi des locuteurs est somme toute normal.
A 14 ans, j’ai embarqué sur le Tahitien pour la France avec comme objectif: le baccalauréat dont personne autour de moi n’en était titulaire. Aussi, le sens de ce mot me fut lunaire. Des repas ont fêté une gamine intriguée, intimidée, perplexe, curieuse. En fin d’agapes, le vieux Tehatu se leva et dit: “Te reva nei ‘oe. ‘E roa’a ia ‘oe te māramarama”, “Tu pars acquérir la connaissance”. “‘Eiaha ia mo’e hia ia ‘oe tei ‘ere.”, “N’oublie pas ceux qui en sont privés.”

J’avais alors compris : “Tu pars t’approprier le Savoir popa’a. Reviens le partager avec qui n’a pu y accéder.” Ces paroles m’ont accompagnée tout au long de mon parcours cahotique et fructueux. Étrangement, à 80 ans, ce que j’ai vraiment envie de partager et célébrer, c’est la beauté de la langue tahitienne et des concepts qu’elle véhicule.

Sans doute est-ce d’avoir eu la chance d’être initiée à savourer avec délices la culture popa’a qui accentue mon émerveillement devant la beauté de la langue interdite à l’enfant que j’étais et qui l’a quand même apprise et dégustée comme une friandise rare.

“Le mana ne s’auto-proclame pas.
Il ne peut qu’être reconnu par autrui”

Plus récemment, l’étude des maladies ayant sévi dans nos îles et les réactions de survie des habitants a levé le voile sur des aspects dissimulés et ô combien essentiels de notre identité.

Le mot mana a de multiples sens : religieux occulte, mystérieux, divin, bénéfique, maléfique, politique,.. tous relatifs au Pouvoir et aux pouvoirs.

Si face à tout pouvoir, la prudence est de mise, en santé plus que jamais. Car le mana ne s’auto-proclame pas. Il ne peut qu’être reconnu par autrui. Tout être vivant en détient.

Selon Tiurai le grand tahu’a, la maladie concerne : te tino = le corps, te mana’o = la pensée, te vārua = l’esprit du vivant et te vāite = l’esprit d’un défunt.

La maladie, ma’i, est une entité hostile qui veut évincer l’âme du vivant pour posséder son corps.
De cette théorie découle toute une stratégie de soins mobilisant l’être entier, ses proches et la société pour renforcer le mana bénéfique.

Les potions font partie de l’arsenal mais n’en sont pas l’essentiel. Selon O. Walker, avant que la grippe espagnole n’emporte Tiurai, celui-ci traitait : l’anxiété, les comportements bizarres, la mauvaise alimentation, les désordres et traumatismes psychiques et les maladies du corps par des mots, actes et rites adaptés.

Des remèdes à base de plantes venaient parfois en complément ou en constituaient l’essentiel. Toutefois, la prise en charge de sa propre santé en mobilisant son être entier et son entourage était fondamental.

Cette compréhension m’a faite décoder autrement les rites et croyances ancestrales qui, tous visaient à prévenir la maladie et à assurer la cohésion du groupe. Mais je n’ai pas su partager cela.

Voici 40 ans que j’entends les mêmes discours sur les recettes médicinales. Se pose-t-on les bonnes questions ? J’ignore l’existence d’un éventuel Panoramix océanien.

Par contre, avec détermination et constance, l’on pollue et détruit le plus magique des éléments qu’est l’eau limpide d’une rivière ombragée et l’on prive la population de ses lieux gratuits de ressourcement en mana individuel et collectif !
‘Aue tātou eeee….

‘Ia maita’i , Simone Ta’ema GRAND