Colloque – Raanui Daunassans évoque les relations entre Ariitaimai et Pomare IV

Temps de lecture : 8 min.

A l’occasion du colloque International “Henry Adams et les Mémoires de Ariitaimai” du 27 février au 2 Mars à l’Université de la Polynésie française, Raanui Daunassans évoque les relations entre Ariitaimai Tepau a Tati et Aimata Pomare Vahine (Pomare IV). (Extraits)

“Nous reprendrons donc l’histoire de notre Clan au moment des événements tragiques que générèrent la bataille de Feï-Pi en novembre 1815 et qui changèrent le cours de notre histoire, car ce fut seulement à ce moment précis que le second Pomare du nom réussit à se faire reconnaître comme Roi de Tahiti en brisant la dernière coalition formée contre lui.

Il avait entre-temps contracté alliance avec notre famille en épousant Tetuanui Reia i te Rai Atea plus connue sous le nom de Teriitaria, la fille du Roi Tamatoa III de Raiatea et également cousine avec la mère de Ariitaimai, Arii Manihinihi a Marama, la grande Cheffesse de Moorea. Cependant, rien de tous ces événements tragiques n’avaient aboli nos droits primordiaux, que l’enfant d’Arii Manihinihi pouvait se voir en mesure de revendiquer un jour, d’où son projet de se l’attacher par les liens de l’adoption aussi valables à nos yeux que ceux du sang.

La reine Pomare IV.

Devant la situation créée par l’intrusion de colons étrangers dans une petite île ou ils se croyaient tout permis, Tati avait comprit la nécessité d’un pouvoir unique et fort. Jugeant que les Pomare étaient stratégiquement mieux en état de l’établir que notre propre famille, il s’en était rallié à eux.

Amoureux fou de sa belle-sœur, Pomare II avait imposé aux missionnaires, qu’il épouse également la sœur cadette de sa femme, la belle Terito (nommée également Teremoemoe), qui lui donnera 3 enfants:

-une fille, Aimata, née en 1813 qu’il soupçonnait de n’être pas de lui,
– un garçon Teriitaria, mort en bas âge,
– et un autre garçon Teina Iti, le futur Pomare III, né en 1820, un an avant la mort de son père, alors âgé de seulement une quarantaine d’années.

La reine Pomare IV.

(…) Ariitaimai, Arii Manihinihi sa mère et Terito furent provisoirement installées à Papara dans une maison que Tati leur avait préparée et ils y demeurèrent tout le temps de l’allaitement. L’enfant fut confiée ensuite à la veuve de Pomare II pour la faire élever avec sa propre fille Aimata.

L’enfance des deux sœurs se déroula paisiblement, jusqu’à leur puberté, où elles furent amenées sur l’îlot de Tetiaroa, afin de subir, comme il était d’usage pour les Arii, une cure de jouvence, pour devenir ce que l’on appelle des “Tapairu” ou princesses de beauté. Là, elles occupaient leur temps à se faire masser à huile de coco parfumée, à se distraire ou à dormir allongées sur des nattes tressées bien abritées des rayons du soleil.(…)

Pomare II

Aimata n’avait que 14 ans lorsqu’elle hérita du trône, pas très solide ni très enviable ou les missionnaires étaient parvenus à asseoir son frère cadet avant elle. Aimata fut placé sous la tutelle des deux sœurs simultanément épousées par Pomare II, l’une qui était sa tante Teriitaria, la reine douairière si l’on veut, l’autre sa mère Terito.

Pas très grande, Aimata était plutôt jolie avec de très beaux yeux intelligents et expressifs, tenus le plus souvent baissés car très timide et n’aimant pas regarder les gens en face. Elle se montrait excessivement curieuse et observait tout sans en avoir l’air, trouvant cependant écrasant le fardeau d’une royauté dont les embarras et les responsabilités grandissaient de jour en jour.
Aussi en fuyait elle les charge le plus possible, se réfugiant soit à Motu Uta îlot en face de Papeete soit dans une maison qu’elle possédait à Papeete en bord de mer ou bien à Arue où était la demeure familiale des Pomare.

Henri Nott.

Aimata avait été mariée alors qu’elle n’avait guère que neuf ans, avec un Prince des Iles Sous le Vent, nommé Tapoa a Taaroa, de très peu son aîné. Ce mariage fut célébré à Huahine par les pasteurs, entre des enfants que leurs parents avaient fiancés dès leur premier âge, suivant la coutume dans nos îles.

Tapoa continua de résider sur son île, tandis que sa femme habitait Tahiti. Il devint éperdument amoureux d’une très belle fille de Huahine, avec laquelle il vécut jusqu’à sa mort, tandis que Aimata, volage et insoumise à l’autorité des missionnaires, se livrait à tous les caprices de son tempérament !

Les chefs finirent cependant par s’émouvoir d’un état de choses qui laissaient le trône sans héritier. En 1834, après avoir procédé à l’annulation du premier mariage d’Aimata, ils la mirent en demeure de choisir un autre époux. Mais n’étant pas parvenus à s’entendre sur le prétendant, il y eu un sérieux conflit familial à ce propos. Le parti vainqueur imposa son candidat, et ce fut Tenania a Hiro, un autre Prince des îles sous le vent, devenu Ariifaaite par la suite. Il n’avait que 15 ans et elle déjà 21.

George Pritchard, Consul Britannique.

Dédaigneuse d’un mari trop jeune et trop timide, Aimata l’envoya résider dans un district voisin. Cela dura un certain temps, le faisant venir à d’assez longs intervalles, mais le renvoyant chaque fois presque aussitôt, comme si elle ne pouvait pas se décider à le garder.

Le jeune homme ainsi humilié se ravisa et pour se venger ou pour piquer la Reine, devenant homme aussi, il se mit à avoir des aventures extraconjugales et comme il était très beau garçon, toutes les femmes se l’arrachaient…

Le bruit ne manqua pas d’en parvenir aux oreilles d’Aimata qui, prise de jalousie, le rappela pour de bon et le trouvant désormais à son goût se mit à l’aimer passionnément. Elle lui demeura dès lors fidèle et en eut six enfants, ce qui n’empêchera pas son Prince Consort de la tromper copieusement ! .

Devenue Reine en 1827 et inséparable de sa sœur d’adoption, Pomare IV était toujours accompagnée d’Ariitaimai, lors de ses déplacements, l’amenant dans toutes ses tournées qu’elles soient officielles ou non et toutes ses décisions, ne se prenaient pas sans en avoir demandé l’avis à sa jeune sœur.

L’amiral Dupetit-Thouars.

La Reine n’a jamais couché dans un lit, mais toujours sur des nattes, que l’on changeait chaque soir de place, depuis qu’elle avait failli être assassinée par un blanc. L’homme fut découvert portant un revolver et faillit être lynché par les tahitiens ; depuis cet événement, la Reine était demeurée craintive se faisait entourer, la nuit, de toute sa maisonnée y compris le Pasteur indigène et les diacres qui devaient parler de la Bible ou autre sans interruption pendant tout le temps qu’elle dormait, se réveillant dès qu’ils s’arrêtaient.

(…) Quand on lui annonçait des visites qu’il ennuyaient, elle prenait un brin de “Aretu”, sorte de paille que l’on mettait sous les nattes où l’on s’asseyait et se mettait à le rouler en boule, sans répondre : on savait alors ce que cela voulait dire. Elle ne comprenait et ne parlait guère que le tahitien et personne jusqu’à ce jour n’a connaissance d’une lettre entièrement écrite de sa main ne sachant, que tout juste de signer son nom.

Alexander Salmon

(…) C’est en 1841 que débarqua un jeune anglais nommé Alexander Salmon, arrivé sur un navire de commerce. Âgé de 21 ans, le nouveau venu à Tahiti était très bien de sa personne et raffiné dans ses manières. Ariitaimai l’aima sur le champ, déclarant qu’elle n’aurait pas d’autres époux et prête à tout quitter pour aller vivre avec lui si on refusait de les marier ensemble, car malheureusement, il y avait une nouvelle loi édictée par les missionnaires en 1842 qui interdisait toute union entre étrangers et indigènes et cela tout simplement dans le but d’empêcher quelque autochtone que ce soit de prendre influence dans le pays à leur détriment !

Désireuse d’assurer le bonheur de sa sœur adoptive, Pomare IV suspendit l’effet de cette loi pendant trois jours et permit ainsi son mariage avec Alexander Salmon, à qui elle conféra le titre de Ariitaimai (le Prince venus par-delà les mers). Jamais alliance ne fut plus heureuse ni plus féconde, puisqu’il eurent neufs enfants, 4 garçons et 5 filles.

Pomare III

(…)

En 1835 (…), le gouvernement établi par les missionnaires se montrait de plus en plus incapable de faire face aux problèmes posés par l’établissement des Européens dans l’île. Une centaine de navires, des baleiniers en majeure partie, s’y comportaient en bandits armés, la police indigène étant impuissante a en réprimer les excès . Il y avait en outre les dérèglements causés par le trafic illicite d’alcool, auquel les européens se livraient en dépit de sa prohibition. Enfin, comme aux Iles Sandwich et en Nouvelle-Zélande entre autres, Tahiti était en train de devenir une arène où missions protestantes et catholiques se disputaient la prééminence.

(…) Le révérend Nott, celui qui avait couronné Pomare III de son propre chef et rédigé les nouvelles lois du pays, vint à Londres, porteur d’une lettre prétendument écrite par un petit Roi de 5 ans à Sa Majesté Georges IV lui demandant la protection de la Grande-Bretagne sous le Pavillon anglais, avec promesse de ne jamais nous abandonner et de nous protéger contre l’envahisseur .

L’amiral Armand Bruat.

(…) Mais déjà en train d’annexer la Nouvelle-Zélande, ayant d’autres sujets de préoccupation ailleurs et ne voyant pas la nécessité de se mettre en frais pour une petite île dont l’acquisition ne lui apparaissait pas suffisamment désirable, le gouvernement anglais répondit par une fin de non recevoir. Il ne trouvait pas “avantageux, ni politique de chercher à rendre prépondérante l’influence de la Grande-Bretagne dans ces îles, au préjudice de celles dont jouissaient les autres puissances” (…)

Dans sa réponse officielle au Roi Pomare III, le même Canning, s’était borné à refuser l’autorisation d’arborer le pavillon anglais, ajoutant : « le Roi d’Angleterre sera heureux de vous accorder à vous et à vos domaines, toute même protection que Sa Majesté peut accorder à un pouvoir aussi éloigné de ses propres royaumes. Cette lettre est remise aux bons soins de M. Nott qui va retourner à Tahiti. Il vous la présentera et vous assurera plus complètement des dispositions amicales que le Roi mon maître entretient à votre égard. »

(…) Dès son arrivée à Tahiti en 1824, le missionnaire Pritchard avait pris une influence prédominante sur Pomare IV. Autoritaire et violent, avide de pouvoir et d’argent, de la plus mauvaise foi quand il s’agissait de ses intérêts, et devenu consul en 1837, il avait pris en main toutes les questions relatives au domaine politique, et la Reine ne faisait plus rien sans le consulter, croyant et suivant aveuglément ses avis. .

(…) Pomare IV se vit obligée de céder. En même temps, elle signait un traité de paix et d’amitié perpétuelle avec la France, reconnaissant aux sujets de cette dernière, la liberté d’aller et venir sans contrainte aucune, dans les îles composant son royaume, et d’y être reçus et protégés comme les étrangers les plus favorisés.

(…) Ne perdons pas de vue cependant, que depuis la découverte, Tahiti ne connaissait guère que les Anglais, leur langue et leur religion, que l’arrivée des Français avait été tardive, et s’était produite dans des conditions plutôt fâcheuses, que leur prétention à vouloir se substituer aux Anglais qui jusque là avaient été les éducateurs et les pourvoyeurs des indigènes pouvaient en quelques sorte, heurter le sentiment de ces derniers, à commencer par la Reine, que l’on voulait contraindre à abjurer du jour au lendemain, ses préférences pour la seule nation qu’elle connaissait, et en faveur d’une autre dont elle ignorait tout, sauf la violence qu’elle venait d’en subir.

(…) La Reine avait signé la demande de Protectorat que l’amiral de Dupetit-Thouars lui avait présentée, à la demande expresse des principaux chefs de l’île, Tati en tête, parce que disait-il, “Nous ne pouvons pas continuer à gouverner par nous-mêmes dans le présent état de choses, de manière à conserver la bonne harmonie avec les gouvernements étrangers, sans nous exposer à perdre nos îles, notre liberté et notre autorité.”

Demeurée à Tahiti, Ariitaimai et Alexander Salmon suivirent avec angoisse les péripéties d’une lutte qui dura deux ans et dont une des conséquences les plus désastreuses fut d’armer les indigènes les uns contre les autres, tous faisant preuve d’un héroïsme auquel les français ont rendu hommage: la guerre franco-tahitienne.

La France, au travers du Gouverneur Bruat, puis de son successeur le Gouverneur Lavaud, reconnurent que Monsieur et Madame Salmon avaient été investis officiellement d’une mission de la plus haute importance aussi dangereuse que délicate, et qu’ils s’en étaient acquittés avec succès, non sans graves dommages pour leurs intérêts personnels ayant ainsi contribué de la façon la plus essentielle au rétablissement du Protectorat français à Tahiti.