Edito – “Les bleus et les rouges ne s’épousent-ils pas ?” par Karim Ahed

(Archives La Dépêche)
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On pensait la campagne des territoriales 2023 ennuyeuse, les débats tardaient à venir, les
programmes semblaient superflus… Seul le culte de la personne dominait le terrain, occupait l’espace
surtout médiatique.

Nous avons côté Tapura les rouges fiers d’exhiber la liste des tavana: cumulards et âgés.
Comme l’annonçait François Mitterrand à la fin de son règne : “15 ans de pouvoir c’est trop, il y a
des jeunes bientôt en âge de voter. Ils n’ont connu que moi, il est temps de partir…”

En effet, sur les listes Tapura et Tavini, certains sont en politique depuis plus de 30 ans et contrairement à Mitterrand, ils ne songent même pas à passer la main !

La liste bleue met en avant les jeunes, en oubliant un temps que ces jeunes sont en réalité des vieux
qui s’ignorent. Ils s’adaptent facilement aux codes de la politique locale. Ils appliquent les
mêmes recettes que leurs aïeux : cumulards (députés, représentants) et népotiques.

“Seule la couleur change, sans réels projets, ni vraies convictions”

En somme, les deux faces d’une même pièce, seule la couleur change, sans réels projets, ni vraies convictions, chacun semble donner l’impression qu’il est à la recherche des avantages qu’offre la situation pour s’enrichir ! Les autres, des miettes même pas dorées.

Ce calme de la campagne, presque inquiétant, vient d’être rompu avec les problèmes internes au
sein de plusieurs formations politiques. Chaque candidate et chaque candidat cherche la place
éligible pour bénéficier de la galette qu’offre le poste à l’assemblée de Polynésie française.

Cette attitude entache le travail d’une majorité de représentants qui font sincèrement leur travail en
commission comme dans l’hémicycle. Pourtant, ces derniers ne sont pas toujours reconduits par leur parti en reconnaissance du travail fourni.

Il faut admettre aussi que la rémunération est juteuse et le travail franchement fastoche (à ma
connaissance ,il n’y a pas d’arrêt-maladie chez les représentants…).

“L’Europe, la grande absente des débats”

L’absence de telle ou tel à la place souhaitée sur les listes électorales provoque des psychodrames. Aucun débat, sur le fond, sur le futur de ce pays : quelle langue ? Quelle monnaie ? Quel avenir pour les jeunes ? Quelle société voulons-nous, (souveraineté ou autonomie) ? Le rapport avec la France ? Avec l’Europe ? La grande absente de tous les débats. Pourtant, nous sommes des Européens.

D’autres sujets mériteraient aussi un débat à ce moment de la campagne : La place de nos ainés dans
notre société, le rôle de l’école, l’importance de la culture, le changement climatique…

Les sujets ne manquent pas. Au lieu de créer le débat, nos politiques parlent ”pareu” en mettant sur
la place publique leurs différents, en parlant d’eux et de leurs bobos, au lieu de parler des problèmes
qui préoccupent la population.

La déclaration de Moetai Brotherson alimente cette ambiance malsaine où le fond des sujets n’est
que rarement traité. C’est presque une déception venant de quelqu’un qui incarne le
renouvellement de la classe politique, nonobstant l’histoire de son parti et son positionnement souverainiste !

La candidature surprise au poste de président du Pays, alors qu’il s’agit d’une élection territoriale et que ce rôle revient de droit à l’assemblée, témoigne tout au moins d’une maladresse ou d’une
frilosité. Cette démarche annonce une crise de gouvernance au sein de ce parti qui se veut exemplaire.

Les déclarations d’Eliane Tevahitua et d’Antony Géros attestent de cet état d’étonnement, de
surprise, d’inattendu. La position inconfortable de la secrétaire générale du Tavini, dit beaucoup de
l’ambiance qui règne au sein de ce mouvement et contredit, cependant, l’image de modernité, de sérieux, que le parti indépendantiste essaye vainement de construire.

Par cette bourde ou cette stratégie de communication, Moetai Brotherson consume peu à peu le crédit qu’il a habilement construit. Le chef du parti, Oscar Temaru, semble affaibli, ne maitrisant plus la situation… Le feu gagne doucement le foyer, malgré l’aura dont il bénéficie auprès des adhérents et sympathisants. Il tente d’éteindre ce brasier avec un succès mitigé !

“Oscar Temaru veut rester loin du tumulte de la gouvernance”

A son crédit et contrairement aux jeunes loups du parti, le président du Tavini ne souhaite pas le pouvoir. S’il le voulait vraiment, il se serait associé à d’autres formations politiques, pour former une coalition, comme ce fut le cas en 2004 avec l’UPLD. Avec le système de prime accordée au parti en tête, c’est la seule garantie d’accéder aux commandes du Pays. Ce choix de refuser toute
alliance, nous pousse à conclure qu’Oscar Temaru veut rester loin du tumulte de la
gouvernance.

Cette situation renforcera le seul grand parti du pays, celui de l’abstention. Les jeunes ne se
retrouvent aucunement dans cette représentation locale. Les réunions politiques démontrent, sur le
terrain, que l’enthousiasme d’antan n’est plus d’actualité.

“Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde”, disait Albert Camus. “La mienne
sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à
empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions
déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts, où les idéologies exténuées, où des
médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire…”
Ce discours a été prononcé un 10
décembre 1957. Six décennies plus tard, il reste d’actualité.

Karim Ahed