Avocate à Paris, mariée à un Polynésien, elle choisit de devenir juriste à Tahiti

Natacha Faua a prêté serment devant la présidente de la Cour d'appel en mai dernier, en tant que juriste assistante. (Photo : DR)
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Natacha Faua a prêté serment devant la présidente de la Cour d’appel en mai dernier, en tant que juriste assistante. La jeune femme travaillait depuis huit ans comme avocate inscrite au barreau de Meaux, rattaché à la Cour d’appel de Paris. Un choix de carrière assumé pour cette jeune femme qui a suivi son mari, militaire polynésien affecté au Régiment du service militaire adapté (RSMA), avec en ligne de mire, pourquoi pas, l’objectif de devenir magistrate. 

Pas d’avocat dans la famille de Natacha Faua, sa maman était employée de banque et son papa CRS devenu graphiste pour le ministère de l’Intérieur. Natacha, elle, a choisi de lâcher la robe d’avocat et les salles d’audience de la banlieue parisienne pour un petit bureau sans fenêtre au milieu des coqs du palais de justice de Papeete. Un choix qui a été salué par la présidente de la Cour d’appel qui a mis en avant la polyvalence de ses compétences, assurément un atout pour les services auxquels elle va prêter main forte. 

Qu’est-ce qui vous a fait choisir le métier d’avocate…
Cela peut paraître un peu bateau mais c’est vraiment l’idée d’aider les autres, d’être utile aux autres. Restaurer la justice là où il y en avait peut-être moins, en défendant les plus vulnérables.”  

Quelles sont les raisons pour lesquelles vous passez du métier d’avocate à celui de juriste assistante en Polynésie ?

Tout d’abord, mon mari est polynésien et militaire. Il a eu la chance d’être affecté temporairement au RSMA où il s’occupe de la formation des jeunes. Cette notion de service à autrui est très importante pour lui comme pour moi.

De mon côté, ça faisait déjà environ deux ans que je m’épuisais en tant qu’avocate et que je réfléchissais à réorienter ma carrière. Quand on est avocat, on est l’intermédiaire entre le juge et le client et on se prend tout de plein fouet. Je faisais du droit de la famille, du droit pénal, et j’étais spécialisée en préjudice corporel. Une activité qui touche à des problèmes humains assez lourds. Prendre du recul devient parfois compliqué.

L’idée d’intégrer la magistrature est un projet qui me trottait depuis un moment dans la tête. Une fois arrivée en Polynésie, je me suis dit que c’était peut-être l’occasion de décrocher avec le métier d’avocat pour voir comment on travaillait en juridiction et savoir si ça pourrait me convenir dans le cadre d’une possible reconversion professionnelle.

Pouvez-vous nous expliquer quel est votre travail aujourd’hui ?

J’ai été recrutée pour travailler au deux tiers du temps au pôle “réparation du préjudice corporel”, ce qui recouvre à la fois les intérêts civils, qui viennent après les audiences correctionnelles où l’on n’a pas statué sur les indemnisations des victimes, les contentieux avec la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) […] cela concerne notamment les accidents de la circulation. Le tiers du temps je suis affectée au tribunal pour enfants où je travaille avec une juge sur le volet assistance éducative. Dans les deux cas, mon travail consiste essentiellement à rédiger des jugements. J’ai les dossiers, j’ai les rapports, j’ai les pièces des parties et je dois rendre une décision selon les éléments que j’ai au dossier.

Qu’est-ce qui change le plus dans votre quotidien ? 

Déjà, la région parisienne est une région très stressante où le rythme de travail fait que l’on est en permanence sous pression. Ici, on apprécie de pouvoir travailler avec plus de sérénité et d’avoir peut-être un peu plus de temps à consacrer aux dossiers, c’est quelque chose de très positif.

Ensuite, si je dois juste comparer ces deux métiers, avant j’exerçais une profession libérale, là je suis salariée, avec des évaluations, des objectifs à respecter mais je n’ai plus à prendre partie pour mon client. La difficulté lorsqu’on est avocat, c’est qu’on n’est parfois pas d’accord avec les personnes qu’on défend ou leur manière de voir les choses. On leur donne des conseils qu’ils n’écoutent pas. A force, on perd un peu ce pourquoi on a fait du droit à la base. Moi, j’aime le droit, j’aime la technicité juridique, faire des recherches… Au bout d’un moment en tant qu’avocat, avec plusieurs dossiers à mener en même temps, avec parfois une centaine d’appels par jour, et les mails qui vont avec, on est à flux tendu tout le temps et donc moins axé sur le droit.

Ce que j’aime aujourd’hui c’est me recentrer sur le droit, sur les dossiers, et surtout l’objectivité. […] On aide les magistrats à prendre des décisions qui concernent la vie des gens mais on est là avant tout pour appliquer le droit. On tranche.

Lors de votre prestation de serment, la présidente de la cour d’appel et l’avocate générale ont rappelé à plusieurs reprises votre principal engagement, le devoir de confidentialité. N’est-ce pas plus compliqué dans un territoire comme la Polynésie où l’on dit que “tout le monde se connaît” ?

Ce devoir est très important partout. Venant de métropole, je ne connais pas les noms et les situations des gens, c’est plus simple de garder ses distances et un certain recul […] Quand on est un professionnel du droit, peu importe les fonctions qu’on a, il n’y a rien de pire que de remettre en cause notre impartialité en disant “il a pris cette décision parce qu’il connaît un tel ou un tel”. Je tiens absolument à ce qu’on ne puisse pas remettre en cause mon travail, en tout cas pas sur le point de l’objectivité.”

Propos recueillis par YP