Échanges autour de l’état des lieux des quatre prisons polynésiennes

La rencontre était précédée d'une visite d'une partie des quartiers de Tatutu (Photos : ACL/LDT).
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Une vingtaine de représentants de l’État, du Pays, des autorités judiciaires et de la société civile, dont les confessions religieuses, ont participé au premier conseil d’évaluation unique des prisons polynésiennes, organisé au centre de détention de Tatutu, à Papeari, vendredi 7 juillet 2023.

La précédente rencontre s’était tenue en 2016, à Nuutania, avant l’ouverture de Tatutu, en 2017, qui reste à ce jour l’une des prisons les plus modernes de France. Pour mémoire, la Polynésie française compte quatre pôles d’incarcération, ayant chacun leurs spécificités : Tatutu (320 détenus pour 410 places, pour des condamnations de plus de sept mois), Nuutania (200 détenus pour 170 places, dont 70 % de prévenus), Uturoa (16 détenus pour 20 places) et Taiohae (3 détenus pour 5 places). Leur activité est assurée par plus de 400 agents, toutes professions confondues, jusqu’aux métiers de la santé. Le coût de fonctionnement annuel est de 8,4 milliards de francs, salaires inclus.

Le premier conseil d’évaluation unique s’est tenu à Papeari.

Les conditions de détention et de travail

Après une visite de plusieurs quartiers de Tatutu en petit comité, les différentes parties prenantes se sont entretenues pendant une heure et demie, sous la présidence du haut-commissaire, et en présence du président de la Polynésie, accompagné du ministre de l’Education. Le procureur de la République était également présent, de même que le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).

La présentation des rapports d’activité hors présence des médias a donné lieu à des projections, en commençant par Nuutania. “La problématique majeure, c’est de faire en sorte de développer des activités dans un établissement qui date de 1974, donc avec des possibilités structurelles restreintes. On est en pourparlers avec une association de quartier pour ouvrir un atelier d’insertion par l’activité économique sur le fa’a’apu, en 2024. La deuxième difficulté, ce sont les conditions de travail. L’établissement étant vieillissant, les agents n’ont pas forcément les lieux pour travailler convenablement, en termes de bureaux, de salles de repos, de chambres de veille pour la nuit, etc. Il y a des analyses et des projections qui sont en train d’être faites pour pouvoir évaluer le coût d’une rénovation et d’une réhabilitation du centre pénitencier de Faa’a”, annonce le directeur de Nuutania, Damien Pellen.

Le responsable dirige aussi les deux prisons des îles, où des travaux sont également prévus. “Pour Uturoa, on a les budgets. Il nous reste à lever des freins administratifs pour qu’on puisse entamer une rénovation. Pour les Marquises, la structure est une maison de 1890, dont on ne peut pas toucher les murs, mais la cuisine sera rénovée en septembre”.

Les enjeux de la réinsertion

Tous sites carcéraux confondus, la réinsertion des détenus reste un enjeu majeur. Cette préparation au retour à la vie en société passe par le maintien des liens familiaux, via les parloirs ou les unités de vie, ou encore par le suivi psychologique, mais aussi par la recherche d’un avenir professionnel.

“Cette année, on va poursuivre la formation professionnelle des personnes détenues. On a mis en place un très beau partenariat avec le CFPA (Centre de formation professionnelle des adultes, ndlr) de Taravao. On a une formation des métiers du bois dans le cadre d’un chantier d’insertion avec un artiste qui propose de l’ameublement de cuisine et des éléments de décoration. L’accompagnement de l’AECD (Association pour l’éducation cognitive et le développement, ndlr) permet d’avoir des passerelles vers l’extérieur, puisque qu’elle cherche des entreprises pour permettre des parcours de formation et de sortie. On aimerait aussi mettre en place un quartier de semi-liberté, comme à Nuutania. C’est un dispositif intéressant qui permet au détenu d’être en journée sur une activité ou une recherche d’emploi, et de réintégrer l’établissement pénitencier le soir. C’est un bon sas de quelques semaines ou mois avant une détention à domicile ou une libération conditionnelle”, projette le directeur de Tatutu, Vincent Vernet, qui quittera ses fonctions le 29 juillet prochain, après un peu plus de deux années passées à Papeari. L’occasion d’annoncer que c’est une directrice qui prendra la relève.  

Quant au conseil d’évaluation unique, il a désormais vocation à se réunir annuellement pour permettre d’effectuer un état des lieux plus régulier entre les différents partenaires impliqués.

Moetai Brotherson, président de la Polynésie française :

“L’aspect le plus important, c’est la réinsertion des détenus”

“Il est important pour nous d’avoir une idée de l’état actuel de la situation carcérale et des moyens qui sont mis en œuvre, ainsi que l’évolution de cette population carcérale, voir comment sa démographie et sa typologie évoluent. Et surtout, je pense que l’aspect le plus important pour le Pays, c’est la réinsertion des détenus en sortie de peine. On peut faire des bêtises, on paye le prix et il faut ensuite se réintégrer à la société. (…) Ce qui était important pour moi, c’était de prendre conscience des articulations qui existent entre l’État, le Pays et les communes sur ces actions, que ce soient les fa’a’apu, l’artisanat, et plein d’autres choses, pour voir comment on peut les optimiser pour faire en sorte que le public carcéral redevienne des citoyens à part entière. (…) Il y a d’autres questions qui retiennent mon attention, comme la question de la suspension des droits à la CPS, qui pose parfois problème quand ils sortent : ce sont des choses qu’il faut qu’on ajuste entre l’État et le Pays”.

Éric Spitz, haut-commissaire de la République, au sujet de la circulation d’ice à Tatutu :

“Qu’ils soient sanctionnés de manière exemplaire”

Quel bilan dressez-vous de cet état des lieux ?

“Le constat qui a été dressé est plutôt positif, puisque Tatutu doit être une des rares prisons de France dont le taux d’occupation est de 73 %, soit 80 places disponibles. D’une manière générale, à Nuutania, où la situation est un peu plus difficile, l’administration pénitentaire a programmé des investissements importants pour améliorer la qualité de la détention. Il y a aussi un effort particulier qui est fait en Polynésie française sur l’insertion, avec un programme de qualité avec une dimension culturelle et professionnelle, comme le travail du bois pour permettre aux détenus de s’insérer plus facilement dans la société à leur sortie”.

Quelles mesures ont été prises face à la récente affaire de circulation d’ice à Tatutu ?

“Les 220 personnels de Tatutu ont été extrêmement choqués de voir le comportement de leurs collègues. C’est un comportement inadmissible qui ne reflète en rien la grande honnêteté et loyauté de 99% des surveillants. Nous déplorons ce genre de cas, qui est à l’image de la vie, où tout n’est pas blanc ou noir. Il y a une procédure judiciaire en cours, qui devrait conclure à une condamnation pénale. Ils ont été suspendus dans l’attente d’une procédure disciplinaire administrative. Je souhaite qu’ils soient sanctionnés de manière exemplaire”.